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La crise économique et la guerre

par Henri

Où va l’économie mondiale et comment se porte-t-elle ? Question, ô combien, pertinente, mais qui dépend fortement de la situation des Etats-Unis.

Dans un article publié sur le site d’Attac France, Isaac Joshua, maître de conférence à l’Université Paris XI, décrit les conditions de développement de la crise économique outre-Atlantique. Sa conclusion : les déséquilibres s’accroissent et les marges de manoeuvre pour s’en sortir se rétrécissent. Les conséquences d’un éclatement de ces contradictions sont incalculables, selon l’auteur.

L’article a été achevé le 31 octobre 2003 et publié sur le site d’Attac France sous le titre « Le cycle de la nouvelle économie, la puissance américaine et l’euro », en février 2004. L’article d’Isaac Joshua


La crise économique et la guerre

Isaac Joshua, maître de conférence en sciences économiques à l’Université Paris XI, a déjà publié des ouvrages sur la crise économique. Il a notamment consacré une étude sur celle de 1929, analysant les rapports entre le krach aux Etats-Unis et ses conséquences sur les rapports internationaux : La crise de 1929 et l’émergence américaine (éditions PUF, Paris, 1999, 311 pages).

S’il aborde aujourd’hui la récession actuelle dans un article intitulé « Le cycle de la nouvelle économie, la puissance américaine et l’euro », c’est en connaissance de cause.

Dans un premier temps, il explique l’essor des secteurs des technologies de l’information qui vont alimenter la spéculation boursière. Mais, en même temps, les investissements dans le matériel informatique augmentent fortement avec, en parallèle, l’accroissement de l’endettement des entreprises. Résultat : il y a suraccumulation (autrement dit trop d’investissements par rapport aux besoins réels) ; de ce fait, les bénéfices des entreprises baissent à partir de 1998 ; et les cours les accompagnent (au NASDAQ [1] en mars 2000, les autres fin de cette année-là).

Mais, si l’emploi se réduit et le taux de chômage monte, il n’y a pas véritablement de récession. Pourquoi ? Plusieurs éléments permettent de le comprendre. Mais un des plus importants est que les « ménages » ne diminuent pas leur consommation. Au contraire, ils continuent à s’endetter et poussent leur niveau d’épargne (la différence entre le revenu disponible et le revenu consommé dans l’année) au plus bas. En même temps, les leviers monétaires et budgétaires sont utilisés à fond : le taux d’intérêt défini par la banque centrale américaine [2] atteint un seuil historique : moins d’1% ; et le gouvernement Bush, à la fois, pratique une vaste réforme fiscale en faveur des plus riches et dépense de plus en plus, surtout dans les moyens militaires.

En conséquence, les Etats-Unis captent une partie de plus en plus importante de l’épargne mondiale. Environ 70% de l’épargne nette afflue vers le pays de l’Oncle Sam. Mais ceci permet aux « ménages » américains de consommer des produits importés de l’étranger, principalement d’Asie, du Mexique et d’Europe. Le montant de ces transferts portent sur plus de 500 milliards de dollars, soit plus de 5% du PIB [3] américain (et le double de celui de la Belgique).

Est-ce tenable ? Isaac Joshua en doute à juste titre. Il écrit : « L’Amérique s’est sauvée comme elle avait vécu : à crédit. Le redressement s’est donc réalisé, non en réduisant certains des dysfonctionnements antérieurs de l’économie américaine, mais au contraire en s’appuyant sur eux, en les accentuant »  [4].

Il est clair que Washington profite de sa position hégémonique dans le monde pour maintenir cette situation fondamentalement instable. Le dollar est la monnaie internationale acceptée par tous. Mais jusqu’à quand ?

Les Etats-Unis se trouvent face à des dilemmes quasi insolubles. S’ils augmentent de nouveau leur épargne nationale, ce sera aux dépens de la consommation, donc de la croissance économique [5]. Mais, s’ils le gardent à ce niveau aussi bas, c’est une épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’économie américaine. De même, au niveau des comptes extérieurs, si le dollar baisse légèrement ou se maintient, le solde commercial déficitaire ne sera pas résorbé et le déséquilibre sera conservé. En revanche, une chute du dollar provoquerait des remous considérables dans le reste du monde. De ce point de vue, la politique actuelle du gouvernement Bush est une fuite en avant, accentuant les effets plutôt que les atténuant. En même temps, les marges de manoeuvre, la possibilité de résoudre les difficultés en douceur, s’amenuisent.

Un krach boursier débouchant sur une crise économique majeure, comme en 1929, est tout à fait envisageable. Il pourrait être même l’hypothèse la plus probable, tant les contradictions sont aiguës. Joshua conclut : « La grande contradiction de la situation actuelle est que la santé de l’économie mondiale dépend de plus en plus étroitement de celle des Etats-Unis, mais que celle-ci, à son tour, dépend de la capacité de ce pays à continuer à recevoir des capitaux de ceux-là mêmes qui sont sous sa dépendance économique. C’est là un jeu qui peut, pendant un certain temps, être « gagnant - gagnant » (« je te prête, tu me tires »), mais dont on voit bien qu’il a nécessairement une fin. Celle-ci peut être brutale, entraînant une dépression mondiale aux conséquences incalculables »  [6].

Ceci est d’autant plus inquiétant que l’endettement des « ménages » atteint des records historiques : 9.400 milliards de dollars fin 2003, soit 85,6% du PIB. Or, explique Joshua, c’est cet endettement dans les années 20 qui va expliquer l’ampleur du krach de 1929. Il atteint à ce moment 40,3% du PNB
 [7]. Il vient de 24,4% du PNB en 1900 [8]. Aujourd’hui, cette hausse est encore plus forte, la dette des « ménages » a doublé par rapport au PIB depuis 1990 (43%).

Ce n’est pas le propos de l’auteur, mais il semble, néanmoins, que si les marges de manoeuvre de la politique américaine se réduisent, si les tensions internationales sont aiguisées, si un krach boursier déstabilisant l’économie des Etats-Unis, puis celle du monde, menace, il est clair que cela favorise les options belliqueuses. La Maison Blanche a déjà utilisé et peut encore employer l’arme militaire pour essayer de soutenir sa position : garder son hégémonie, exercer une pression sur les autres pays, ennemis comme alliés, conserver la situation actuelle du dollar, prélever un « tribut » sur les territoires vaincus, relancer certains secteurs grâce aux commandes du département de la Défense, etc. Et cela provoque la hausse des budgets militaires chez les autres puissances, ne voulant laisser cette avance guerrière aux Etats-Unis.

Rien de réjouissant, certes. Mais il faut une vue claire de ce capitalisme « libéral » pour pouvoir poser des revendications adéquates. L’article de Joshua y contribue en tous les cas.

L’article d’Isaac Joshua

Notes

[1La Bourse américaine des valeurs technologiques.

[2La Federal Reserve (FED).

[3Le Produit Intérieur Brut (PIB) estime la richesse marchande créée en un an par un pays.

[4Isaac Joshua, « Le cycle de la nouvelle économie, la puissance américaine et l’euro », document Attac France, février 2004.

[5La consommation des « ménages » tire la croissance aux Etats-Unis.

[6Isaac Joshua, « Le cycle de la nouvelle économie, la puissance américaine et l’euro », document Attac France, février 2004.

[7Le Produit National Brut (PNB) estime la richesse marchande créée en un an par les résidents d’un pays. La différence avec le PIB est ce qui créé dans un pays par des étrangers, qui en ramènent les revenus chez eux (et inversement).

[8Isaac Joshua, La crise de 1929 et l’émergence américaine, éditions PUF, Paris, 1999, p.98.


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