à lire et débattre lors de l’assemblée du 22 avril
rédigé par Attac-liège
QUELLE CONSTITUTION POUR L’EUROPE ?
POUR UNE EUROPE
DEMOCRATIQUE, SOCIALE, ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
I. L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT
Le débat sur une Constitution pour l’Europe, sa nécessité, son mode d’élaboration, sa portée et son contenu, a été largement éclipsé par les tensions, au sein des instances européennes, portant sur le fonctionnement de l’Europe : le nombre de commissaires, le système de vote au Conseil des Ministres, le rôle et le mode de désignation de la Commission, etc.
D’aucuns estiment que ce projet de Constitution contient des points suffisamment positifs pour ne pas le rejeter en bloc. Par exemple, l’extension du vote à la majorité qualifiée (mais l’unanimité reste requise pour les droits des salariés, les conditions d’emploi des ressortissants de pays tiers, l’environnement, la fiscalité, les mesures de lutte contre la fraude fiscale, etc.) ; le principe de subsidiarité, en vertu duquel un tiers des Parlements nationaux peut obliger la Commission à réexaminer ses propositions (mais elle peut les maintenir) ; le pétitionnement : un million de citoyens peut inviter la Commission à soumettre une proposition nécessaire à l’application de la Constitution (mais celle-ci n’est pas obligée d’y donner suite) ; l’introduction du pouvoir de codécision du Parlement européen (mais sans pouvoir d’initiative législative) ; la publicité du Conseil des Ministres (sans supprimer le secret des négociations) ; la Charte des Droits fondamentaux (mais les droits au travail, au revenu minimum, aux allocations de chômage, à la pension, au logement, etc., ne sont pas reconnus, ni l’interdiction de toute détention et arrestation arbitraires).
Par ailleurs, sur le fond, cette liste de points positifs (dont chacun doit être nuancé) occulte le fait que le projet tend à légaliser pour l’avenir une Europe libérale et franchement peu démocratique. En réalité, notre rejet de cette Constitution est motivé à la fois par la manière non démocratique de son élaboration, par l’ambiguïté de son statut juridique, et par notre critique du contenu du document proposé à la signature des 25 pays membres de l’UE.
Ce n’est pas un « non » à l’Europe et, moins encore l’encouragement à un repli nationaliste. C’est un NON « alter-européaniste », pour une autre Europe dans un autre monde, pour une refondation sociale et démocratique de l’Europe, bref pour une Europe sociale, démocratique, écologique et solidaire.
II. UNE DEMARCHE PEU DEMOCRATIQUE
A notre avis, le projet de Constitution représente, non moins que les traités fondateurs déjà en place, un recul par rapport au modèle démocratique conquis de haute lutte au fil des siècles, et qui avait abouti à la légitimation des principes suivants : la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ; la représentativité ; le suffrage universel ; l’élection récurrente ; le débat politique ; et la séparation des Eglises et de l’Etat. En effet, les travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe ont contrevenu à ces principes de diverses manières.
Une Constitution sans Constituante
Le Traité constitutionnel n’émane d’aucune souveraineté populaire démocratique, ni d’aucun pouvoir constituant effectif. C’est la Convention sur l’avenir de l’Europe – cent cinq députés ou représentants des institutions européennes – qui, sans mandat vraiment explicite, a discuté, pendant seize mois, d’un document qui n’a pas été voté, mais accepté au consensus. En outre, plus des deux tiers de ce document de 300 pages n’ont jamais été débattus par les « conventionnels », mais ajoutés après les travaux de la Convention.
Constitutionnaliser les politiques néolibérales
Fait aggravant, cette Constitution ne se borne pas à fixer quelques principes généraux et à préciser le système institutionnel. Elle intègre les Traités existants qui précisent les orientations et définissent les politiques. Ce projet de « Traité constitutionnel » grave donc dans le marbre le credo néolibéral, inscrit dans les traités de Maastricht et d’Amsterdam, et systématise les réformes déjà adoptées. Son fil conducteur est clairement exprimé : « la concurrence est libre et sans entraves » (art.1-3-2) afin de promouvoir la dite « économie sociale de marché hautement compétitive » (art. 1-3-3). Le libre échange et le néolibéralisme sont ainsi cautionnés comme étant la référence impérative et l’objectif central de l’Union européenne. Cela n’est plus remis en cause, comme si le débat théorique et politique était clos une fois pour toutes.
Un acte de naissance illégitime
Une fois adoptée, cette future Constitution, que nous lisons davantage comme un Traité et qui s’intitule d’ailleurs officiellement « Projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe », sera bel et bien un « Traité constitutionnel », qui s’imposera aux institutions européennes comme aux Etats membres. Elle prévaudra dès lors sur les Constitutions nationales, et donc sur la Constitution belge. Le Parlement serait amené à ratifier, à la majorité simple, ce « Traité constitutionnel » (accepté ou refusé, mais pas amendable !), c’est-à-dire un texte ayant une valeur supérieure à notre Constitution, alors que toute transformation de cette dernière nécessite normalement des majorités et des procédures spéciales (à savoir, notamment la majorité des deux tiers). Ceci est vrai pour la plupart des Etats membres. La constitutionnalisation échappe ainsi aux règles élémentaires du suffrage universel et à nos procédures en matière constitutionnelle.
Une Constitution pour l’éternité ?
Ce nouveau Traité international doit être ratifié à l’unanimité des Etats membres de l’UE. Mais, ensuite, il ne pourra plus être modifié si un Etat s’y oppose. L’article 4-7 stipule en effet que « les amendements entreront en vigueur après avoir été ratifiés par tous les Etats membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». Il sera donc à peu près impossible de l’amender, ce qui est inacceptable, eu égard notamment au dogmatisme libéral qu’elle impose.
Le retour des Eglises dans les affaires d’Etat
Dans sa forme actuelle, le Traité comporte un article (art. 51) qui tend à instituer des relations privilégiées entre les institutions de l’Union d’une part, et les Eglises et organisations laïques d’autre part. Cet article consacre donc la réinsertion des Eglises dans la sphère publique, ce qui nous paraît inopportun et inacceptable.
III. UN TRAITE CONSTITUTIONNEL AU CONTENU INACCEPTABLE
IV. POUR UNE REFONDATION SOCIALE ET DEMOCRATIQUE DE L’EUROPE
Les axes et les objectifs fondamentaux pour une Europe sociale, démocratique, écologique et solidaire existent. Il est urgent de mettre sur pied un véritable plan de mobilisation sociale, articulé sur le terrain national et international, et susceptible de favoriser la concrétisation politique de ces objectifs. Ceux-ci s’inscrivent dans une démarche portée aujourd’hui par un nombre toujours plus grand d’organisations, et par les forums sociaux qui « s’opposent au néolibéralisme et à la domination par le capital et toute forme d’impérialisme et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain » (Charte de principe des forums).
Cette démarche s’oppose au principe directeur du projet de Traité constitutionnel : « l’économie de marché ouverte, où la concurrence est libre ». S’opposer au néolibéralisme et à sa domination, rejeter la « marchandisation du monde », rechercher ensemble des alternatives démocratiques, sociales, écologiques à la domination des oligarchies financières et économiques, implique une rupture positive et salutaire avec la construction actuelle de l’Europe, avec les politiques néolibérales menées, depuis une vingtaine d’années, non seulement par les grandes institutions politiques, financières et économiques internationales, mais aussi par nos propres gouvernements. Il n’y aura pas de refondation ou de réorientation significative sans l’ouverture d’un débat en profondeur sur l’avenir de l’Europe.
Pour un débat démocratique
La constitution de l’UE nous concerne toutes et tous. Ce sont les peuples d’Europe qui doivent décider de l’Europe qu’ils souhaitent. Il s’agit de reconstruire le lien entre les peuples et les élus, le peuple donnant un mandat de constituant à une assemblée composée exclusivement d’élus. Un débat en profondeur devra ensuite être mené par les Parlements, aux niveaux national et européen. Ces parlementaires pourront alors estimer dans quelle mesure, soucieux de leur représentativité, ils choisiront de donner toute la publicté requise à leurs débats, et d’envisager la nécessité d’un référendum. Par la suite, une telle Constitution devra pouvoir être révisée par une majorité qualifiée au sein du Parlement européen.
Le Parlement européen doit en effet pouvoir exercer pleinement toutes les compétences législatives, y compris le droit d’initiative et le contrôle des organes exécutifs.
Pour une Europe sociale, écologique et solidaire
V. MOBILISATION
L’Europe dont nous avons besoin, face à la mondialisation libérale, aux firmes transnationales, n’est pas celle qui se fait aujourd’hui. Bien au contraire, cette nouvelle Constitution pour l’Europe grave dans le marbre des orientations et des politiques néolibérales, qui s’imposeront aux institutions européennes comme aux Etats. Accepter ce Traité constitutionnel au nom du « moindre mal », en misant sur des améliorations possibles par la suite et en invoquant les « risques de blocage » de l’Union européenne, c’est non seulement entretenir des illusions, mais, plus grave encore, c’est accepter que cette Constitution légalise pour l’avenir une construction européenne peu démocratique, anti-sociale, voire militariste.
Nous sommes des « alter-européanistes ». L’Europe que nous voulons se construit à partir d’une rupture positive et salutaire avec le néolibéralisme. Elle passe par l’affirmation selon laquelle l’amélioration permanente des droits sociaux, culturels, environnementaux, individuels et collectifs, constitue l’objectif essentiel de toute société démocratique. L’économie n’est qu’un outil au service des êtres. Une démocratie n’est possible que si l’économie est subordonnée à des fins collectives supérieures de réduction des inégalités, de respect des libertés démocratiques, individuelles et collectives, de justice sociale et de satisfaction des besoins fondamentaux de l’ensemble de la société. Nous appelons les associations, les organisations sociales et syndicales, ainsi que les collectifs de lutte contre le néolibéralisme à rejeter ce projet de Traité constitutionnel.
Nous appelons le Parlement belge, le Parlement wallon, le Parlement flamand, le Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, le Parlement de la Communauté française, le Conseil de la Communauté germanophone à se prononcer contre ce projet de Traité constitutionnel. De même, nous appelons les candidat(e)s aux élections européennes à en faire de même.
Une autre Europe est possible. L’Europe que nous voulons, dont nous avons présenté les grands axes et objectifs, commence à se construire, sur le terrain national et via les coordinations internationales, à partir des forums, des débats sur les revendications et les alternatives, et à travers les mobilisations sociales, syndicales et citoyennes.