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Angle Attac (avril 2004) / 4-5 : HAÏTI : destination de trêve ?

Compte-rendu du café politique du 9 mars 2004

La présence d’haïtiens lors du dernier café politique a agréablement contribué à donner sa couleur locale au thème de la soirée. Mais, avant d’introduire ce petit pays en éruption, Jean-Marie -qui conduisait le débat- a proposé une nouvelle formule pour les cafés politiques à venir. Désormais, il ne devrait plus y avoir une seule personne chargée de l’organisation, comprenant la recherche d’orateurs appropriés et d’arguments pertinents etc … mais chaque personne désireuse d’aborder un sujet qui lui tient à coeur pourra l’amener à l’ordre du jour avec l’aide et l’expérience d’Attac Bruxelles 1. Dans cette activité qui aspire à la rencontre, au partage et à la confrontation d’idées, d’opinions, un tel changement apporterait plus d’espace à la participation et à l’interaction.


Revenons-en au petit bout d’île enflammé par les impérialismes français et américain, qui vit cette année son bicentenaire d’indépendance. Dans la salle, une trentaine de personnes étaient au rendez-vous. Néanmoins, peu d’entre elles semblaient être bien informées de la situation en Haïti, ce qui souligne l’importance d’aller au-delà des médias officiels. Un premier et long témoignage de Joe nous plonge directement dans l’histoire d’un pays isolé.

Haïti subit depuis longtemps la dérision de l’Histoire. Il est néanmoins le premier pays colonisé à avoir gagné son indépendance… moyennant le payement de 150 millions de francs or, au bénéfice de la France en tant que ‘dette des pertes des colonies’, pour laquelle les haïtiens ont travaillé comme des forcenés jusqu’en 1885. Depuis, ce pays n’a jamais vraiment connu de vie paisible. La tentative d’occupation et de colonisation dirigée par Washington de 1915 à 1934 écrasa la possibilité des haïtiens de mener à bien leur système d’autosuffisance.

En 1991, un nouvel embargo américain réussit à tuer l’économie d’Haïti et empêche, une fois encore, la population de gérer son propre développement. Cette tutelle omniprésente pèse lourdement sur la société. L’influence états-unienne a fait d’Haïti un Etat assisté, où une identité et une culture propres sont négligées (le créole est considéré comme plus ‘bas de gamme’ que le français).

Un pays indépendant doit pourtant pouvoir compter sur ses propres forces et non sur celles d’ONG, d’aides étrangères. “ Celui qui s’occupe de ton ventre s’occupe aussi de ta tête ”, selon un dicton haïtien. Et à l’expression “ vous êtes sur le dos du bœuf, faites attention à ne pas le fâcher ! ”, adressée aux Haïtiens travaillant sur le continent (les ‘boat people’), ces derniers répondent : “ Non, c’est le bœuf qui est sur notre dos ! ”, pour dire qu’ils se font systématiquement exploiter par les Etats-Unis.

L’humour n’a pas empêché d’évoquer ce qui se cache derrière la carte postale d’une île tropicale et ensoleillée. Sans entrer dans les détails, d’après les descriptions des différents témoins, les termes ‘chaos’ ou ‘désolation absolue’ ne laissent qu’à désirer. Statistiquement : Haïti connaît le taux de mortalité infantile le plus haut du monde, il y a environ 1 médecin pour 30.000 personnes, un ouvrier gagne en moyenne 1€ pour 8 heures de travail…. Bref, le pays baigne dans l’incertitude. S’arrêter au sentiment de pessimisme qui s’en dégage serait un tort, car l’espoir réside dans la confiance qu’un peuple peut avoir en lui-même dès lors qu’il détient une connaissance suffisante des sphères qui contrôlent son existence. Et, comme le fait remarquer un autre intervenant, les masses populaires haïtiennes, en majorité analphabètes, ont pu bénéficier de campagnes de politisation grâce auxquelles elles sont au courant de ce qui se passe dans le monde politico-économique qui les concerne.

Les deux époques d’Aristide

La première période commence en 1986, au terme de 29 ans de dictature sanglante dirigée par les père et fils Duvalier. Le prêtre catholique, Jean-Bertrand Aristide, savait alors parler aux gens, et gagna vite en popularité. Ce qui le fit élire par un peuple très enthousiaste à la tête du gouvernement en 1991. Mais, comme le souligne Joe, il ne connaissait rien en politique de sorte que sept mois plus tard, à l’insu d’un coup d’Etat barbare, auquel les américains ont participé, il dû laisser les rennes à Raoul Cedras. Celui-ci, avec l’appui des Etats-Unis, contrôla un régime dictatorial de type banditiste pendant trois ans.

Le deuxième Aristide apparaît probablement pendant son exil, où il vend son âme pour se tirer de l’impasse… Il monte un groupe de parlementaires afro-américains, le Black Caucus, instrument de son puissant lobbying à Washington. Le rétablissement de ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis l’ont amené à faire trop de concessions. “ Une fois que l’on danse avec les loups, on tombe dans le piège ”, résultat : un Aristide perverti. En 1994, les américains replacent Père Aristide à la présidence de la République d’Haïti. Puis, aux élections de 2000, la ‘Communauté internationale’ estime que les votes ont été manipulés, truqués. Cette tricherie vaut un nouvel embargo dévastateur sur le pays et le gel de l’aide prévue par les Etats-Unis, l’Union Européenne et les organisations financières concernées.

Aujourd’hui, on se demande bien quelles sont les personnes potentiellement capables de prendre en mains ce pays en ruines. Le Lavalas, parti affaibli du président déposé, J.-B. Aristide, est toujours présent sur le chemin du pouvoir. Il y aussi l’opposition démocratique qui s’est formée contre Aristide, mais qui, sans réel programme commun, paraît dans l’incapacité de s’unir durablement. Une troisième force, encore récente et n’occupant qu’un rôle minoritaire dans la société civile, ressemble à une composition hétérogène de plusieurs groupes (allant de l’Eglise, aux nouvelles classes patronales en passant par les étudiants, les syndicats paysans, un mouvement féministe…). Enfin, il y a aussi les ‘barbares du Nord’, ancienne ‘armée cannibale’ au service des basses œuvres d’Aristide qui s’est retourné contre lui. S’y retrouvent les paramilitaires de la période de Raoul Cedras (le FRAPH ; Front pour l’Avancement et le Progrès en Haïti), ainsi que des macoutes de la fin du duvaliérisme. Cette milice a néanmoins été perçue par la population îlienne comme un ‘front de libération’, dirigé par l’ex-officier Guy Philippe, soutenu par les Etats-Unis.

La démission d’Aristide du 29 février dernier, et qui pourrait très bien être orchestrée par l’une ou l’autre stratégie américaine, a déclenché l’application de la résolution 1529 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le point primordial en est l’envoi d’une force multinationale à titre intérimaire pour ramener l’ordre et la sécurité (la France a déjà mobilisé 800 hommes, les Etats-Unis et le Canada sont aussi militairement impliqués). A quand la trêve des violences ? Joe conclut que c’est la lutte qui établira l’évolution de l’histoire haïtienne, car on ne sait jamais quand cela se termine. Il ne s’agit pas là de laisser tomber, au contraire, il faut lutter, chacun avec ses armes, et la communication en est une première étape !

Islin


Quelques sources :

Monde Diplomatique - Haïti

Articles de :

  • Christophe Wargny, En Haïti, un Etat à reconstruire (4 mars 04) ; Haïti, au-delà de la désolation (Monde diplomatique, fév. 02)
  • Paul Farmer, Haïti, l’embargo et la typhoïde (Monde diplo, juillet 03)

Réseau d’Information Sur l’Amérique Latine - RISAL

  • CADTM France, Haïti, 200 ans après, à quand l’indépendance (jan.04)
  • Michel Chossoudovsky, La déstabilisation de Haïti : un coup d’Etat orchestré et financé par les Etats-Unis (29 fév. 04)

Le site du Ministère des Affaires étrangères

http://www.tanbou.com

  • Tontongi, De la crise permanente haïtienne

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