Analyse des programmes européens des partis sociaux-démocrates européens
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Attac Bruxelles 1 a consacré deux assemblées à décortiquer le programme des partis politiques pour les élections européennes et régionales de juin 2004. Une manière d’appréhender les relations avec les partis politiques : leurs propositions concrètes, leurs qualités, mais également leurs falsifications, leurs réinterprétations de l’histoire...
En particulier, cet article se braque sur le programme du PS, le mettant dans une perspective des projets des autres partis sociaux-démocrates européens. En fait, on s’aperçoit qu’il entre dans un plan plus vaste défini par une nouvelle organisation créée à partir de l’union des partis sociaux-démocrates, mais ayant maintenant son autonomie (puisqu’il sera possible d’adhérer directement à cette organisation) : le parti des socialistes européens, présidé par l’ex-Premier ministre danois, Nyrup Rasmussen.
Le texte n’est pas tendre pour le PS. Il est bon de préciser qu’il aurait été possible d’analyser sous un angle aussi défavorable bien des programmes de parti.
Analyse des programmes européens des partis sociaux-démocrates européens
Il y a deux manières de procéder à la lecture et à l’examen de programmes de partis.
Ou bien on relève tous les points positifs, toutes les propositions intéressantes qui vont dans le bon sens. Dans ce cas, le programme du PS peut offrir quelques pistes. Ainsi, est-il avancé les idées d’un salaire minimum dans l’Union, d’une pension minimale, d’un fonds de fermeture pour lutter contre l’appauvrissement de ceux qui perdent leur emploi ou encore d’une nouvelle priorité européenne accordée au logement pour faire baisser à moins de 3% le nombre de sans toit en 2014...
Ou bien on prend l’ensemble et on l’interprète d’une façon intégrée.
Il nous semble que cette seconde approche est la bonne.
Votez pour nous
Dans ce cas, on peut remarquer que le PS s’appuie sur les réticences populaires face à l’Union : « Disons le clairement, à l’heure actuelle, l’Europe déçoit les progressistes. Il est difficile d’être de gauche et de marquer son enthousiasme pour le projet européen » (1). Il ajoute : « la construction européenne ne correspond pas aujourd’hui à notre projet de société » (2).
A ce stade, on pourrait croire à un déluge de critiques sur les instances européennes. Mais ce n’est pas le cas.
Au contraire, le PS va mettre tout le poids de ses récriminations sur les déviations récentes de la politique européenne, présentées comme de droite : « les politiques mises actuellement en œuvre sont trop souvent d’inspiration ultralibérale. Elles ne prennent pas en considération la nécessité d’assurer la cohésion sociale en Europe » (3).
Si cela va mal, c’est à cause des orientations trop libérales, qui mettent l’accent uniquement sur l’économique. Il faut également se soucier du social, selon le raisonnement du PS.
Mais tout n’est pas perdu. Il est possible de renverser la vapeur, avec une autre direction, une direction « socialiste », cela va sans dire. Les élections qui viennent sont capitales. La majorité au parlement européen (qui n’a toujours qu’un pouvoir limité) peut basculer et favoriser l’une ou l’autre Europe.
Le PS avance : « L’angélisme n’est pas de mise. En fonction des élections européennes et des majorités au pouvoir dans les Etats, l’Europe peut être de droite ou de gauche, libérale ou socialiste. L’Europe est un lieu de débat et de décision politique. Une présence forte de la gauche au Parlement européen garantira que les décisions adoptées au niveau européen et qui concernent la vie quotidienne des citoyens, concrétisent les valeurs progressistes que le PS défend et s’opposent aux dérives ultralibérales. Un projet politique fort pour l’Europe est devenu indispensable. L’Europe entre en effet dans une phase inédite de son histoire. Plus que jamais, la vision de progrès social et économique qui a inspiré l’action des socialistes dans le cadre des Etats doit aujourd’hui trouver son expression au niveau européen et mondial » (4).
Dans ces conditions, le vote utile sera celui en faveur des socialistes. Car, grâce à eux, on pourra défendre cette Europe sociale, contre ses dérives libérales. Le message du programme est donc clair : votez socialiste !
De même, face à la mondialisation et à ses effets sociaux et environnementaux désastreux, il faut une régulation. Et qui peut mieux mener à bien ce projet, sinon l’Union européenne, qui peut servir de modèle social et démocratique au monde. Mais, de nouveau, pour cela, il faut voter socialiste et non libéral.
Où sont ces mauvais libéraux qui déréglementent tout ?
Le problème est de savoir où se trouve cette fameuse Europe ultralibérale, qui accorde une primauté aux problèmes économiques. Car, à la Commission, qui dispose de pouvoirs grandissants, il y a une majorité de commissaires venant des partis sociaux-démocrates : Romano Prodi, président de la Commission et proche du PDS italien, Pascal Lamy, commissaire au Commerce et membre du PS français, Philippe Busquin, commissaire à la Recherche et ex-président du PS belge francophone...
Lors du sommet européen de Lisbonne en mars 2000, onze des quinze gouvernements européens étaient à participation social-démocrate. Or, c’est ce Conseil qui a décidé de faire en 2010 de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » (5). C’est-à-dire de soumettre la politique d’emploi à cette exigence de compétitivité.
Dans le programme du PS, on invente une fable à propos de Lisbonne : « Ce projet, socialiste à l’origine, s’est peu à peu dénaturé au point que l’orientation qui prédomine actuellement favorise les réformes économiques, souvent structurelles, et la libéralisation des services publics au détriment des dimensions sociales et environnementales » (6). Autrement dit, ce projet serait bon à l’origine, mais aurait été dévoyé dans un sens libéral par des gouvernements de droite (qui auraient succédé aux onze gouvernements à participation socialiste de mars 2000).
Quelle blague ! Car, dès l’origine, ce projet assure les faveurs aux entreprises. Dès l’origine, il prévoit d’abaisser les coûts salariaux. Dès l’origine, il veut flexibiliser le marché de l’emploi pour que les offres correspondent exactement à ce que veulent les entreprises. Dès l’origine, il se propose de libéraliser (et donc de privatiser) les services, en particulier les télécoms, les transports, la poste et l’énergie. Dès l’origine, il a une dimension de démantèlement social. Il suffit de lire les conclusions de la présidence portugaise.
De même, c’est Pascal Lamy, le très socialiste commissaire au Commerce, qui négocie au nom des pays européens à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Et, pour cela, il plaide depuis des années pour les pleins pouvoirs. C’est lui qui accepte les mesures de libéralisation dans les tractations à propos des services.
C’est Jacques Delors, le socialiste français, alors président de la Commission, qui a lancé l’idée du marché unique, sous la haute influence des multinationales européennes. Puis c’est lui qui a poussé le traité de Maastricht, installant le pacte de stabilité pour lequel les salariés, chômeurs et pensionnés ont dû se serrer la ceinture.
Lorsqu’on regarde l’histoire de la construction européenne, on voit que la déréglementation, la libéralisation, le démantèlement social sont venus autant, sinon davantage, du courant social-démocrate que de l’aile libérale.
Un programme en fait européen
Ce qui n’est pas inintéressant non plus est de constater que le programme du PS s’inscrit dans un plan plus large avancé par l’ensemble des partis sociaux-démocrates en Europe. Celui du PSE : le parti des socialistes européens.
On retrouve le même canevas que pour le programme belge.
D’abord, les socialistes veulent une Europe forte, capable de s’imposer au monde. « Les sociaux-démocrates de chaque pays sont fortement en faveur d’une Union européenne unie et qui réussit » (7). Une Europe forte, cela commence par la défense : « Nous devons développer davantage la politique européenne de sécurité et de défense commune de sorte à ce qu’elle devienne un instrument crédible en termes de prévention des conflit et de gestion des crises » (8).
Le PSE précise, comme on pu le voir pour le PS : « Un vote pour les candidats sociaux-démocrates est un vote pour l’Union européenne qui combine la justice sociale à l’intérieur des pays et la solidarité entre les pays » (9). Opposant donc social-démocrate à libéral. On a vu qu’il n’en était rien.
Ceci jette un autre regard sur les propositions concrètes du PS qui manifestaient des relents progressistes. En effet, en votant pour le PS, on élit des parlementaires qui vont se retrouver dans le groupe du PSE. Et, dans ce cadre, ce ne sera pas le programme du PS qui sera appliqué, mais celui du PSE. Or, à part des slogans de principe en faveur du social, il n’y a aucune proposition concrète positive dans ce dernier. Les exigences de salaire minimum, de pension, de logement, etc., risquent donc de rester au niveau des voeux pieux. Les élus du PS pourront toujours se réfugier derrière l’argument traditionnel en cas cas-là : « nous, on voulait bien ; mais ce sont les autres qui refusaient ».
Henri Houben
(1) Programme du PS pour les élections européennes, 18 avril 2004, p.1. (2) Programme du PS, op. cit., p.4. (3) Programme du PS, op. cit., p.4. (4) Programme du PS, op. cit., p.2. (5) Conseil européen de Lisbonne, « Conclusions de la présidence », Lisbonne, 23 et 24 mars 2000, point 5. (6) Programme du PS pour les élections européennes, résumé, p.3. (7) PSE, « Growing stronger together. Five commitments for the next five years, Manifeste du parti des socialistes européens pour les élections européennes de juin 2004, adopté au Congrès du PSE, Bruxelles, 24 avril 2004, p.1. (8) PSE, op. cit., p.5. (9) PSE, op. cit., p.1.
Cette critique du programme du PS illustre les problèmes des promesses lancées avant les élections par les partis susceptibles de participer à un gouvernement. Il serait possible d’établir une critique similaire des programmes du MR, du CDH ou d’Ecolo.