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Quelle stratégie pour l’emploi ?

par Henri

Où sont les emplois ? Plan après plan, négociations gouvernementales les unes après les autres, promettent la création de postes de travail. Mais où sont-ils ?

En revanche, les mesures pour lancer la chasse aux chômeurs sont bien réelles. Celles pour favoriser le travail flexible et précaire aussi.

N’y a-t-il pas d’alternative ? Si, bien sûr. Mais, pour cela, il faut suivre une logique différente : ne pas accepter les pertes d’emploi décidées par les firmes ; sanctionner celles qui osent licencier sans avoir épuisé les autres possibilités et sans prévoir un reclassement du personnel menacé... C’est le cas, par exemple, de la proposition de loi Decroly, déposée en mars 2003.

Article paru sous forme d’éditorial dans Angles d’Attac, n°50, novembre 2003, p.2.


Quelle stratégie pour l’emploi ?

L’emploi, tout le monde en parle. Le gouvernement Verhofstadt a promis de créer 200.000 nouveaux postes de travail (1). C’est important. Le travail, dans notre société capitaliste, c’est ce qui permet de vivre. Mais c’est aussi, d’une certaine façon, même si ceci est très discutable, une reconnaissance sociale, une reconnaissance de l’utilité de ce qu’on fait. Etre privé de boulot est donc un drame humain et une source majeure de pauvreté, de misère et d’exclusion. Toutes des raisons pour qu’Attac s’en préoccupe.

La stratégie européenne du « tout par l’entreprise »

De ce point de vue, la conférence pour l’emploi organisée par le gouvernement belge avec la participation des « partenaires sociaux » (syndicats et fédérations patronales) sort avec des propositions minimalistes. Les principales décisions sont : 1. une réduction des charges patronales à la sécurité sociale d’un montant de 800 millions d’euros par an ; 2. le droit à une formation pour 60.000 chômeurs par an ; 3. un accompagnement des chômeurs par les organes régionaux de placement (2). On se demande comment avec cela on pourra créer 200.000 postes nouveaux.

En revanche, ces mesures, comme celles déjà avancées dans la déclaration gouvernementale, cadrent parfaitement avec les objectifs de l’Union européenne. Le point de départ de ceux-ci est que ce sont les entreprises qui créent du travail. Donc il faut tout faire pour qu’elles soient les plus compétitives possibles. Une orientation définie largement par la Table ronde des industriels européens (3), ce lobby patronal regroupant quelque 45 présidents des plus grandes multinationales du continent (Renault, Philips, Fiat, Unilever, Bayer, Nestlé, Solvay...).

D’où l’emploi doit être adaptable en permanence aux exigences des firmes : il faut former cette main-d’oeuvre aux nouveaux besoins liés aux nouvelles technologies et à la mondialisation ; l’économie de la connaissance n’est donc pas d’abord une acquisition de compétences, mais une adéquation aux demandes patronales ; la formation a un caractère directement pratique, utilisable par les compagnies. D’où aussi les incitations offertes aux entreprises en matière de réduction de charges. Cette politique de l’emploi se fonde sur deux principes très contestables, mais qui forment la ligne de fond de le stratégie communautaire (notamment celle qui a été définie au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 et qui forme la référence actuelle) : 1. il faut attirer les multinationales pour qu’elles créent de l’emploi ; il faut susciter l’apparition des multinationales de demain dans les nouvelles technologies.

Sanctionner les multinationales !

L’exemple récent de Ford montre les conséquences dramatiques de cette orientation. C’est la firme qui décide de créer ou non de l’emploi. Avec la désertification industrielle, les plus grandes d’entre elles détiennent un pouvoir social de plus en plus grand sur une région. Les mesures qu’elles prennent déterminent l’avenir d’une province. La suppression de 3.000 emplois à Ford Genk est une catastrophe pour le Limbourg, qui a déjà connu la fermeture des mines et la délocalisation de plusieurs usines dont celle, l’année dernière, de Philips Hasselt. Pourtant, les dirigeants de ces grandes entreprises ne sont nullement élus par la population.

Au contraire, les responsables politiques, sortis des urnes eux, déclarent qu’ils sont impuissants. Quelle honte ! Car ce sont eux qui ont abandonné ce pouvoir inconsidéré aux administrateurs des multinationales. Ce sont eux qui leur fournissent des aides tant et plus, comme des diminutions de charges à la sécurité sociale. Ou, comme pour Ford, un soutien financier à la reconversion de la région. Ce sont eux qui ont encore décidé à la conférence de l’emploi d’accorder une rétrocession des charges patronales sur les indemnités de licenciements si ces firmes, qui suppriment des emplois, reclassent leur personnel déchu.

Il est temps de mener une autre politique. Pour paraphraser une formule célèbre dans le mouvement altermondialiste : Une autre politique est possible ! Au lieu de favoriser tant et plus les multinationales, il faut les sanctionner lorsqu’elles ne respectent pas les contrats qu’elles ont signés ou quand elles ont l’intention de créer un drame social sans en payer les dégâts.

C’est l’objet de la proposition de loi Decroly, promue par certains à Attac Flandre (4) : si une firme licencie et qu’elle ne veut pas retrouver un reclassement pour les personnes mises à la porte, elle devra rembourser cinq années d’aides publiques. C’est le processus inverse de l’orientation suivie par le gouvernement belge et par l’Union européenne.

Cela fera-t-il fuir les entreprises ? Il est clair qu’il vaut mieux mener ce combat au niveau européen. Cela permettrait d’éviter les menaces et le chantage des multinationales qui vont vouloir privilégier les pays où elles ont le plus de liberté. Néanmoins, cela n’empêche pas de conduire cette lutte déjà en Belgique. Celle-ci a d’autres atouts qui peuvent attirer les investisseurs : le siège des autorités européennes, le siège de l’OTAN, une infrastructure portuaire, routière et ferroviaire développée, une main-d’oeuvre qualifiée et flexible, un marché de consommation élevé, des avantages fiscaux grâce aux centres de coordination (5)... Tous ces avantages ne sont pas louables. Par exemple, nous ne sommes pas nécessairement fiers d’accueillir le siège de l’OTAN ou que la Belgique soit considérée comme un paradis fiscal grâce aux centres de coordination. Mais ils existent.

Henri Houben

(1) En tous les cas, au début, dans la déclaration. Parce que maintenant, on ne parle plus que 60.000 emplois nouveaux. (2) Ce que le ministre de l’emploi, Frank Vandenbroucke (SP.a) interprète comme le droit de chasser les chômeurs des allocations, notamment pour ceux qui ne chercheraient pas assez d’emploi. (3) Voir à ce sujet Serge Cols, François Gobbe, Henri Houben et Anne Maesschalk, L’Europe de la Table ronde, brochure Attac Bruxelles, Bruxelles, 2001, et Observatoire de l’Europe industrielle, Europe Inc. Liaisons dangereuses et milieux d’affaires européens, Agone éditeur, Marseille, 2000. (4) Voir le site d’Attac Flandre, partie Forum, section « droits économiques ». La proposition a été déposée en mars 2003, lorsque Vincent Decroly était encore parlementaire. (5) Un centre de coordination est une société financière créée par une grande multinationale, permettant de financer les opérations de celle-ci en Belgique et ne devant payer qu’un impôt des sociétés dérisoire sur les bénéfices (1 à 2%).


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