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3.000 licenciements à Ford Genk

Un deuxième Vilvorde

par Henri

Face aux licenciements, n’y a-t-il rien à faire ? Le 1er octobre 2003, la direction de Ford annonçait la perte de 3.000 emplois dans l’usine de Genk, dans le cadre d’un vaste plan de restructurations internationales.

Pourtant, la multinationale réalisait des profits, certes après des pertes importantes : en 2003, un total de 495 millions de dollars. Pourtant, les actionnaires n’étaient pas sur la paille : jamais les dividendes n’ont été interrompus (malgré les années de pertes) ; en 2003, ils se sont montés à 733 millions de dollars ; sur les dix années se terminant en 2003, ils se sont chiffrés à 20,4 milliards de dollars. Pourtant, l’usine de Genk reçoit des subsides notables des pouvoirs publics.

Qu’est-ce que cette société où des milliers d’emplois ont moins d’importance qu’une interruption du versement du dividende à des actionnaires fortunés ? Qu’est-ce que ce système où on peut déplacer le travail au gré des sacrifices concédés par les salariés et où les responsables politiques se déclarent impuissants ?

Article paru dans Angles d’Attac, n°49, octobre 2003, p.6.


3.000 licenciements à Ford Genk

Un deuxième Vilvorde

Ce mardi 1er octobre, la direction de Ford a décidé de supprimer 3.000 emplois à son usine de Genk, dans le Limbourg. Cela cadre dans un vaste plan de restructurations qui doit coûter la vie à 12.000 postes à travers le monde. Quatre usines doivent être fermées aux Etats-Unis. 1.700 autres emplois supprimés en Allemagne, principalement à Cologne. Et on attend des décisions similaires de la part des directions de General Motors et de DaimlerChrysler. Sans compter Fiat, qui est en véritables difficultés.

Crises économiques, licenciements, régions dévastées socialement, délocalisations... Ce sont quelques termes habituels de la mondialisation capitaliste actuelle, une mondialisation qu’Attac ne cesse de combattre.

Car si ce sont des notions habituelles, elles n’en sont pas moins inacceptables.

Une montagne de bénéfices

Si Ford, aujourd’hui, prétend être la victime de la concurrence impitoyable qui rogne ses marges bénéficiaires, la multinationale n’a jamais hésité par le passé à en être un des moteurs. Au début des années 90, Ford Europe a lancé, à coups de rabais, une opération de conquête du marché italien, contrôlé alors par Fiat à plus de 60%.

Et cela rapporte. Si le constructeur américain se plaint de pertes de 6,4 milliards de dollars pour les années 2001 et 2002, de 1993 à 2000, il a réalisé un bénéfice net cumulé de 56 milliards de dollars. Soit l’équivalent du Produit intérieur brut de pays comme la Tchéquie, la Hongrie, l’Algérie, le Pakistan ou le Pérou ! Excusez du peu !

D’ailleurs, lors du premier semestre 2003, Ford a renoué avec les bénéfices nets : 1,3 milliard de dollars. Cela ne l’empêche pas de se débarrasser de 12.000 emplois. Pourtant, au niveau belge, un salarié coûte environ 50.000 dollars par an. Garder les 12.000 postes équivaudrait à une dépense annuelle de 600 millions de dollars (720 millions si on prend un coût par emploi de 60.000 dollars). Soit la moitié des profits du premier semestre.

Ford n’a-t-il donc pas les moyens de conserver ces emplois ? Si. Mais il n’en a pas la volonté. Car ce qui compte, c’est le paiement des dividendes aux actions et la montée des cours des actions. Ce qui profite en premier lieu à la famille Ford, actionnaire principal de la firme.

On voit donc les intérêts inconciliables entre les dirigeants et les actionnaires de la multinationale et les salariés dans leur ensemble (car l’annonce de la liquidation de 3.000 emplois condamne le Limbourg à une désertification industrielle). Ce qui enrichit les premiers s’accompagne de misères et de difficultés pour les seconds.

La Belgique, terre d’accueil... des multinationales

Et l’Etat impuissant ? C’est ce qu’on pourrait croire à voir les timides réactions du gouvernement fédéral et flamand.

Pourtant, c’est bien la stratégie concoctée par nos dirigeants qui nous amène dans cette situation. Ce sont eux qui ont affirmé : « Portes grandes ouvertes pour les investissements des multinationales ».

Eh bien ! Aujourd’hui, on en paie les pots. Car si ce sont les multinationales et autour de celles-ci que les emplois doivent être créés, ce sont leurs dirigeants - et non les gouvernants - qui décident dès lors du sort de régions entières du pays. Ce n’est pas de l’impuissance. C’est de la capitulation. Et s’il y a capitulation, c’est parce que ces mêmes gouvernants ont l’intention à la fin de leur carrière de finir administrateur dans ces mêmes multinationales. Comme l’ancien Premier ministre Dehaene qui siège aux conseils d’Umicore et de Philips.

Pourtant, il y aurait moyen de faire pression sur le constructeur américain. Ford bénéficie d’importantes aides régionales, notamment parce qu’il a ouvert une usine dans une région de reconversion suite à la fermeture des charbonnages. Non seulement, on pourrait arrêter ces aides, mais on pourrait aussi exiger le remboursement de celles qui ont servi à soi-disant créer des emplois, qui sont aujourd’hui supprimés. On pourrait rendre les ventes de Ford difficiles en Belgique. On pourrait s’intéresser à sa filiale de location de voitures, Hertz. On pourrait regarder de plus près le centre de coordination de Volvo Cars (également filiale de Ford), dont les profits sont taxés à 1 ou 2%.

Bref, si la multinationale s’impose comme maître incontesté du chantage, avec une fermeture possible de l’unité de Genk à la clé, l’Etat belge pourrait montrer qu’il a les moyens de répondre du tac au tac. Encore faudrait-il avoir la véritable volonté de défendre les salariés coûte que coûte ! Ce dont on peut douter du gouvernement Verhofstadt.

Tous ensemble !

Après Renault Vilvorde, après la Sabena, après maintenant l’annonce de Ford, ne devrait-on pas tirer les conclusions de cette politique désastreuse de l’emploi ? La stratégie suivie par les gouvernements livre les travailleurs pieds et poings liés aux multinationales et à leur décision stratégique, qui ne passe pas nécessairement par la Belgique - et c’est vrai de bien d’autres pays.

Et cela risque de continuer, puisque les décisions que le gouvernement devrait prendre sont de nouvelles réductions de cotisations sociales pour les entreprises. Cela devient ridicule. Car, si ce sont les coûts salariaux qui sont en cause, ce ne sont pas les quelques « pour cent » de diminution qui résoudront l’affaire face à des pays ou des régions qui ont des coûts deux fois moindres par rapport à ceux de la Belgique. En outre, ces baisses signifieront une réduction des recettes de la Sécurité sociale, qu’il faudra compenser soit par une hausse des taxes sur les contribuables, soit par une baisse des prestations au détriment des plus faibles.

En tous les cas, Attac Bruxelles (1) se déclare solidaire des salariés et des délégués syndicaux de Ford Genk (et des autres travailleurs aux prises avec des licenciements) dans leur combat contre ces 3.000 pertes d’emploi injustes. Il estime que ceci montre que la réflexion en faveur d’une autre politique et d’une autre société est plus que jamais d’actualité. Une politique et une société en faveur des simples citoyens et non à l’avantage de familles multimilliardaires comme celle des Ford !

Henri Houben

(1) Comme les autres locales d’ailleurs, mais je ne peux parler en leur nom.


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