Compte-rendu du débat du 3 juin 2004
Questions aux partis en vue des élections européennes
Lors du sommet européen de Bruxelles des 17 et 18 juin 2004, un nouveau texte législatif est sorti. Son titre est évocateur : « projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Par raccourci, on l’appelle souvent Constitution.
Or, une Constitution est un document fondateur. Et la Constitution européenne, telle qu’elle est proposée, contient toute une série de règles qui peuvent en étonner plus d’un : soutien au marché libre et à la libre concurrence, définition de celle-ci comme objectif de l’Union, affirmation de la position centrale de la Commission européenne, organe non élu, dans le processus législatif de l’Union, liens réaffirmés avec l’OTAN dans le domaine militaire...
Ceci amène Attac à rejeter ce projet, considéré comme non démocratique, soutenant des politiques ultra-libérales, avantageuse pour les entreprises, mais désastreuses pour les citoyens. Mais qu’en est-il des partis politiques ?
Attac Bruxelles 1 et 2 ont décidé d’inviter un représentant de chaque parti susceptible de jouer un rôle dans de prochains gouvernements pour répondre à plusieurs questions sur ce projet constitutionnel.
Article paru dans Angles d’Attac, n°56, juin 2004, p.9-11.
Questions aux partis en vue des élections européennes
Il est évident que le texte ci-dessous est un résumé des prises de position définies par chaque intervenant, lors du débat. Pour des raisons de place et de temps, il n’a pas pu être possible de retranscrire telles quelles les interventions. Nous avons essayé de synthétiser au mieux les différents points de vue. Nous nous en excusons si ce n’est pas le cas et, le cas échéant, nous sommes prêts à corriger la partie qui trahirait la pensée développée par chacun.
Ce jeudi 3 juin, les locales AB1 et AB2 avaient organisé un débat dans la perspective des élections européennes. L’objectif de la formule particulière, avec des questions précises posées aux trois candidats (1), était d’obtenir des réponses concrètes à quelques préoccupations centrales d’Attac (notamment dans la perspective de la Constitution européenne), le débat devant permettre ensuite à la salle de développer ses propres préoccupations. Pour des raisons de temps nous n’avons pu inviter des représentants de tous les partis, qui auront néanmoins, pour ceux présents, pu prendre la parole depuis la salle.
I - Thème « Démocratie et institutions »
1. Votre parti s’engage-t-il à soumettre le projet à une consultation populaire en Belgique, précédée d’un large débat contradictoire ?
Véronique De Keyser - PS (VdK) :
Après un laïus un peu complexe pour justifier qu’elle ne pouvait pas vraiment répondre tout en voulant bien répondre tout en devant faire de la « realpolitik », VdK a fini par lâcher le « oui mais » attendu : oui personnellement, pour autant que cela se fasse après un large débat démocratique, le même jour dans toute l’Union européenne et que le vote soit ramené dans toute l’Union européenne ; non pour le PS, frileux là-dessus car il craint que cela ne soit la porte ouverte à d’autres référendums nationaux, sous pression flamande, sur des questions cruciales pour la Wallonie (par exemple sur la sécurité sociale)
Pierre Jonckheer - Ecolo (PJ) :
La position d’Ecolo est claire sur ce point : demander une consultation européenne dans les 25 pays, car il refuse que les négociations finales actuelles ne deviennent l’otage de référendums nationaux répondant d’abord et avant tout à des intérêts politiques internes, comme en Grande-Bretagne. Il demande donc que le Conseil européen de juin fasse une déclaration solennelle, assortie de sanctions (la Constitution entrerait en vigueur par exemple si ¾ des Etats et 2/3 de la population étaient pour, et ceux qui voteraient contre devraient sortir de l’Union européenne), et enfin que soit introduite dans le projet une procédure référendaire pour les révisions futures.
Antoine Tanzili - CDH (AT) :
Là également une position très claire : pas de soumission à consultation populaire car les peuples européens ne sont pas encore mûrs pour la construction européenne et une majorité voterait sans doute contre. Cela sera la fin du processus européen et ouvrirait la porte aux coopérations renforcées. Enfin cette question serait prise en otage par des questions nationales.
2. Le projet de Constitution n’introduit pas de changement important dans le fonctionnement institutionnel ; les pouvoirs du Parlement européen restent relativement limités et le centre décisionnel reste le Conseil des Ministres, souvent représentés par des diplomates. Etes-vous prêts à donner mandat aux représentants belges pour poser un droit de veto si les pouvoirs du Parlement européen ne sont pas étendus plus largement ? Seriez-vous d’accord pour remettre en cause le principe de l’unanimité pour la révision de la Constitution ?
Véronique De Keyser - PS (VdK) :
OK mais pas jusqu’au veto. Le Parlement européen a déjà obtenu des avancées même si ce n’est pas suffisant, et si on met le veto elles seraient balayées. Or pour le moment dans l’Europe des 25, il n’est pas sûr que l’on pourrait récupérer ces avancées ; il faut savoir s’arrêter à temps pour garder un acquis. En revanche, si nous perdions ces acquis, là oui il faudrait bloquer. Ce projet n’est pas une Constitution mais un traité constitutionnel qui n’a pas modifié les principes de révision très lourds. Ce projet ne change donc rien et il n’y a donc pas de raison suffisante pour le rejeter.
Pierre Jonckheer - Ecolo (PJ) :
Le tableau est suffisamment noir pour ne pas le noircir davantage : le Parlement européen a déjà le pouvoir de codécision sur la législation européenne, le pouvoir de vote sur le budget et un pouvoir de contrôle politique sur la Commission ; là où il n’a pas de compétences réelles, il adopte beaucoup de résolutions. Mais c’est pareil dans les Etats nationaux où la politique économique, par exemple, est définie par l’exécutif. La principale carence démocratique par rapport à un parlement national est que le Parlement européen n’a pas de pouvoir d’initiative législative et que la Commission peut « filtrer » les amendements du Parlement européen qui ne lui conviennent pas. Sur le plan institutionnel, pour le moment la position d’ECOLO est l’extension maximale du vote à la majorité qualifiée (2) pour toute législation, et un mode de révision au moins différencié entre la Partie III (qui porte sur les politiques de l’Union européenne) et le reste de la Constitution. Aller jusqu’au veto ? Pas encore de position d’ECOLO tant que l’on ne connaît pas le texte final.
Antoine Tanzili - CDH (AT) :
Non pour le veto car l’urgence est d’adopter la Constitution telle quelle : certes elle n’est pas parfaite et il y a encore des avancées à faire ; néanmoins, il serait très difficile d’obtenir plus aujourd’hui, c’est une étape intermédiaire qui développe déjà un peu plus de compétence européenne et de démocratie, et qui est déjà mieux que le traité de Nice. Oui à 100% pour la remise en cause de l’unanimité, mais il faut savoir jusqu’où on veut aller : Si on va jusqu’au bout de la démocratisation, les petits pays comme la Belgique devront renoncer à être sur-représentés. L’utopie du CDH, ce sont les Etats-Unis d’Europe, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.
3. L’art.1.3 du projet de Constitution définit les objectifs de l’Union européenne. Il y a confusion entre objectifs et moyens, et un risque de conflit entre les différents objectifs, notamment avec l’introduction du marché libre et de la libre concurrence comme but déclaré de l’Union européenne. Etes-vous d’accord sur cette interprétation et seriez-vous prêt à changer ces articles ainsi qu’à rejeter la dimension néo-libérale dans le texte ?
Véronique De Keyser - PS (VdK) :
Tant VdK que le PS estiment qu’il y a en effet un ‘micmac’ entre objectifs / dimension constitutionnelle / définition de politiques. L’idéal serait de sortir la Partie III dont la Convention n’a pas discuté et qui est donc aussi insatisfaisante que les traités actuels. Néanmoins VdK considère que ce projet n’est pas une avancée libérale mais un reflet de l’Europe actuelle : on peut le rejeter ; mais si on ne propose pas autre chose, on retombe sur les traités précédents. Cette question divise d’ailleurs les partis en interne.
Pierre Jonckheer - Ecolo (PJ) :
C’est clair que le texte présente une coalition d’objectifs pas cohérents entre eux, mais c’est le fruit d’un compromis entre différents courants politiques.
Antoine Tanzili - CDH (AT) :
L’Union européenne est, à la base, une construction économique qui a permis un espace de stabilité et de paix. AT n’est donc pas pour la suppression des objectifs de libre concurrence, et il y a de nombreux autres objectifs tout aussi important qui sont cités avant : la paix, le développement durable, etc. Enfin, la libre concurrence ne signifie pas forcément privatisations. L’excès de néo-libéralisme est ancien et pas lié à la Constitution.
II - Thème « Société » (3)
Face à l’abandon par les pouvoirs publics de la maîtrise de la politique monétaire et des politiques volontaristes au nom du respect du pacte de stabilité, face à la libéralisation des mouvements de capitaux sans harmonisation fiscale menant au dumping social, face au démantèlement des services publics :
1. Etes-vous prêts à supprimer les références à la libre concurrence et à garantir le rôle des services publics (au lieu des « services d’intérêt général ») et des droits sociaux existants ?
Pierre Jonckheer - Ecolo (PJ) :
Assez largement d’accord avec l’analyse d’Attac. En revanche, il est faux de dire que le principe de libre concurrence n’était pas présent dans les traités antérieurs. Le problème de fond est que l’on est dans un marché unique européen et que la méthode de la reconnaissance mutuelle des législations nationales qui domine aujourd’hui met en concurrence les législations nationales au lieu d’élaborer d’abord des normes européennes comme cela a été fait dans le domaine environnemental et parfois dans le domaine du travail, surtout dans les années 70 et 80. Le problème est qu’aujourd’hui on considère que faire des normes européennes est trop coûteux.
Antoine Tanzili - CDH (AT) :
AT ne considère pas qu’il y ait une consécration de la libre concurrence par ce texte. De plus, pourquoi faut-il associer ces deux questions ? Sa réponse serait non pour les références et oui pour les services publics : il faut des services publics forts et performants dans le sens ‘performants pour les citoyens’.
2. Quelle est votre position sur le projet de directive de libéralisation des services ? Le projet est-il, selon vous, conforme (ou pas) aux traités existants et au projet de « Constitution » ?
Pierre Jonckheer - Ecolo (PJ) :
Ecolo est contre la directive Bolkenstein en l’état. Une position de repli serait la suspension de cette proposition tant que la Commission ne dépose pas une proposition de directive-cadre sur les services publics. Le Parlement européen a déposé deux fois une motion pour cela mais la Commission refuse.
Antoine Tanzili - CDH (AT) :
La position est également le gel de la discussion tant qu’il n’y a pas de directive-cadre sur les services d’intérêt général et notamment sur les secteurs de l’éducation, de la santé et de la culture. Néanmoins, pour AT, 80% de la directive n’est pas à remettre en cause car elle ne fait que retranscrire la jurisprudence constante de la Cour de Justice. Le problème, c’est sa portée.
3. Comment votre parti prévoit-il de lutter contre le dumping social et fiscal ?
Pierre Jonckheer - Ecolo (PJ) :
Si on n’obtient pas la possibilité de voter des texte là-dessus à la majorité qualifiée, on va se retrouver dans une situation de concurrence entre les Etats, et c’est un domaine où l’utilisation de coopérations renforcées est peu probable.
Antoine Tanzili - CDH (AT) :
C’est effectivement un domaine dans lequel il n’y aura pas d’avancée tant qu’il y a unanimité, tout comme pour la coopération judiciaire pénale. Néanmoins, reconnaissance mutuelle et harmonisation ne sont pas forcément excluantes.
Débat
La session de questions - réponses s’est suivie d’un débat animé où les représentants politiques ont été plus d’une fois ‘malmenés’ par l’audience, qui a remis en cause notamment le double langage des politiques au niveau national/européen, ou dans les campagnes/dans les gouvernements, etc., ainsi que l’abandon de leur véritable rôle politique : informer les citoyens, défendre l’intérêt général, et surtout créer et proposer des alternatives au lieu de se contenter de gérer le « c’est comme ça » et d’utiliser l’Europe comme cache-sexe de leur propre démission. Tous tentent maintenant de minimiser la portée du projet de texte constitutionnel face au retour de boomerang qu’est la réaction des peuples européens, à la hauteur (non attendue ? !) de l’enjeu, même symbolique. Finalement, le rejet de cette constitution provoquerait peut-être une commotion salutaire et ramènerait les citoyens eux-mêmes au cœur du vrai débat : quelle Europe et pour quoi faire ?
Laëtitia Sédou
(1) Véronique de Keyser pour le PS, Pierre Jonckheer pour Ecolo, et Antoine Tanzili pour le CDH, en remplacement de Joëlle Milquet, le MR ayant décliné l’invitation.
(2) Vote à majorité qualifiée au sein du Conseil des Ministres, qui s’accompagne le plus souvent du pouvoir de codécision du Parlement européen, c’est-à-dire une adoption conjointe d’une proposition de législation européenne.
(3) VdK ayant quitté le débat, seuls ECOLO et le CDH ont répondu aux questions suivantes.