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Restructurez, qu’ils disaient. Et vous verrez, votre entreprise ira beaucoup mieux. Et les emplois restants seront sauvés.
Mais est-ce bien vrai ? Car, si toutes les entreprises adoptent la même solution, le marché des biens de consommation (alimentation, PC, télévisions, radios, automobile, etc.) risque de se rétrécir. Et, même si les profits repartent à la hausse, ils profitent aux actionnaires qui pourront réinvestir. Autrement dit, le marché des biens de production (bâtiments, machines, outils...) s’accroîtra.
D’où une contradiction. Le marché des biens de consommation sera poussé à augmenter par l’achat de nouvelles machines, alors qu’il sera restreint par la limitation du pouvoir de consommation des salariés. La crise s’approfondit. De nouvelles restructurations sont nécessaires. Un cercle vicieux lié au système capitaliste et à la recherche sans fin de profits des firmes.
Article paru dans Angles d’Attac, n°52, février 2004, p.7.
Restructurez, qu’ils disaient. Et vous verrez, votre entreprise ira beaucoup mieux.
Sur cette rengaine, les plans se multiplient : suppression de 3.000 emplois chez Ford, fermeture de Pauwels Trafo à Gand, annonce de liquidation des bassins sidérurgiques de Liège et de Charleroi, 140 postes menacés à Bombardier Bruges, 136 chez Umicore, sans compter les « dégraissages » programmés à la Poste, à la SNCB... On est loin des 200.000 emplois promis par le gouvernement Verhofstadt.
Mais au lieu de se lamenter sur ce triste sort, interrogeons-nous plutôt sur deux questions essentielles. D’abord, comment se fait-il que les restructurations ne permettent pas d’en sortir, que finalement elles engendrent de nouvelles restructurations et un processus sans fin ? Ensuite, n’y a-t-il vraiment rien à faire contre ces pertes d’emploi ?
Retour au coeur du capitalisme
Dans le capitalisme, la croissance économique est identifiée à la hausse du produit intérieur brut (PIB). Le PIB est la richesse marchande créée en un an dans un pays. Autrement dit, c’est la valeur ajoutée au cours de l’année. Mais celle-ci est répartie en deux composantes : l’une sert à rémunérer le personnel, ce sont les salaires ; l’autre va aux détenteurs de capitaux, de façon générale.
Les revenus attribués aux salariés sont destinés essentiellement à la consommation. En revanche, ce qui revient aux détenteurs de capitaux n’est pas nécessairement consommer. Cet argent peut être aussi placé ou investi.
S’il est placé, il sort du circuit économique traditionnel et entre dans les mécanismes financiers. Cela dépend alors des marchés financiers s’il est remis en circulation dans l’économie réelle ou non.
S’il est investi - et c’est le cas que nous allons supposer -, il sert à augmenter les biens de production, c’est-à-dire les bâtiments, les machines, les outils qui permettront à l’avenir de réaliser davantage de biens de consommation. Mais, ce faisant, les détenteurs de capitaux restreignent d’une certaine façon les montants alloués à la consommation puisqu’ils consacrent plus d’argent à l’investissement.
Il y a une contradiction entre les revenus destinés à la consommation et les investissements qui poussent à accroître la production. Cela débouche sur la crise de surproduction.
Prenons un exemple simple (voir graphique ci-joint). Si les salariés reçoivent une somme globale équivalente à 50 et les détenteurs de capitaux également (ce qui fait un montant total des revenus de 100), on fera l’hypothèse que les travailleurs achèteront pour 50 de biens de consommation et que les capitalistes pour 40. Le restant, soit 10, sera consacré à l’investissement, c’est-à-dire à l’acquisition de biens de production. A ce niveau, il y a équilibre.
Mais admettons que, poussés par la concurrence ou par le désir d’élever leurs revenus, les capitalistes veulent investir maintenant non plus 10, mais 15. De ce fait, ils accroissent l’achat de biens de production. Sur cette base, la production de biens de consommation devra normalement s’élargir. Si on suppose que les conditions sont inchangées et si 10 investis servent à fabriquer 90 de biens de consommation, on peut estimer que la dépense de 15 débouchera sur une production de 135 de biens de consommation.
Or, l’argent destiné à la consommation aura été réduit de 5, les 5 qui sont consacrés à l’investissement et non plus à la consommation. Il y a donc un processus qui, d’un côté, pousse à la hausse de la production et, de l’autre, à la restriction du pouvoir d’achat global. C’est cela qui aboutit à la crise de surproduction.
La restructuration engendre la restructuration
Quelles conséquences apportent les restructurations dans ce cadre ? Elles accentuent le phénomène. En effet, leur but est d’augmenter encore la part qui va au capital et donc de limiter ce qui est destiné aux salariés.
A terme, au lieu de résoudre la crise ou de l’atténuer, cela l’aiguise davantage.
Les capitalistes, agissant essentiellement sur le plan individuel, ne veulent d’ailleurs pas trouver une solution à la crise, en restructurant. Ils laissent cela au marché ou aux éventuels planificateurs (s’il en reste). Ce qu’ils cherchent, c’est à s’en sortir eux.
Il y a une plaisanterie qui circulait au Japon, lorsque le pays était considéré comme le compétiteur numéro un dans le monde. Deux hommes, un Japonais et un Occidental, se promènent dans la brousse. Soudain, ils rencontrent un lion. Le Japonais s’assied et se met à lasser convenablement ses chaussures de course. L’Occidental lui demande : « tu comptes courir plus vite que le lion ? » Et le Nippon lui répond : « Non, j’ai seulement l’intention de courir plus vite que toi ».
Le problème est que le lion, comme animal, peut se rassasier d’un homme et laisser le second s’enfuir. Comme phénomène économique associé à la crise, il est peu probable qu’il ne s’en prendra pas aussi au second. La restructuration aide peut-être à courir plus vite, à être plus concurrentiel. Mais, face à la crise qui se trouve au coeur du système, elle est totalement inefficace, voire même dangereuse.
Rien à faire ?
La conclusion de ce raisonnement pourrait être qu’il faut changer le capitalisme. C’est à coup sûr justifié. Pour cela, seulement, il faut une volonté populaire et un rapport de forces. Deux éléments qui n’existent pas spontanément et qu’il faut donc construire. Ce qui demande du temps.
En attendant et pour bâtir cette conscience, que fait-on ? A mon avis, outre soutenir la lutte de ceux qui perdent leur boulot, il faut interpeller l’Etat et les hommes politiques. Ce n’est pas vrai qu’ils sont impuissants. Ils doivent défendre l’emploi. Ils peuvent s’attaquer aux multinationales et aux détenteurs de capitaux.
Sur le plan des restructurations et des pertes d’emploi, la loi Decroly, qui impose des sanctions contre les firmes qui licencient sans prévoir un reclassement du personnel menacé, est un point de départ. Mais il peut y en avoir d’autres.
Contre la chasse programmée contre les chômeurs, ces hommes politiques peuvent la condamner et s’y opposer fermement.
Et, puisqu’il y a une échéance électorale dans pas longtemps, nous pouvons voter pour les partis et les candidats qui s’appuient sur ces points. Et non plus pour ceux qui disent qu’il n’y a rien à faire ou, pire, qui affirment que seul le marché pourra résoudre ce problème.
Houben Henri