La nouvelle Commission européenne
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« Je vous ai écoutés ». C’est par ces paroles aux accents gaullistes que José Manuel Barroso, le nouveau président désigné de la Commission européenne, a présenté son équipe devant le parlement européen à Strasbourg, le 17 novembre dernier. Mais qu’a-t-il entendu le nouveau patron de l’Europe ?
La nouvelle Commission européenne
« Je vous ai écoutés » . C’est par ces paroles aux accents gaullistes que José Manuel Barroso, le nouveau président désigné de la Commission européenne, a présenté son équipe devant le parlement européen à Strasbourg, le 17 novembre dernier [1]. Mais qu’a-t-il entendu le nouveau patron de l’Europe ?
Il poursuit : « Vous avez souligné la nécessité de disposer d’une Commission forte et compétente : une Commission pour tous les Européens » [2].
Oui, d’accord, une Commission plus forte. Mais est-ce vraiment pour tous les Européens ? Regardons de plus près cette fameuse équipe.
D’abord, le président lui-même. Barroso a été nommé, en 1993, dirigeant mondial de demain par le Forum économique mondial, autrement dit l’organisme qui tient chaque année fin janvier sa conférence internationale à Davos. Ce Forum, appelé populairement le Forum de Davos, se félicite d’inviter chaque année les 2.000 personnalités les plus influentes de la planète. C’est-à-dire des hommes politiques, des chefs d’entreprise, des journalistes, des idéologues, bref une véritable élite mondiale.
C’est tellement écœurant de voir cette clique avoir la prétention de diriger et de discuter des affaires du monde que, depuis quelques années, se déroule alternativement le Forum social mondial. Cette année-ci, celui-ci a lieu de nouveau à Porto Alegre (l’année passée, c’était à Mumbaï en Inde).
Ensuite, première vice-présidente, la suédoise Margot Wallström, en charge de la Communication. Cette membre du parti social-démocrate a fait partie de la Trilatérale. Celui-ci est un organisme, créé en 1973 par la famille Rockefeller [3] et par le futur conseiller en matière de sécurité nationale de Carter, Zbigniew Brzezinski, aussi pour discuter des affaires du globe entre dirigeants des trois principales régions capitalistes (Etats-Unis, Europe occidentale et Japon). De nouveau, une organisation proche des citoyens et donc des Européens...
Un autre vice-président, Jacques Barrot, détient des avoirs financiers non négligeables. Il a été vice-président national du Cercle de l’Industrie, autre entité liée aux milieux patronaux.
Le dernier vice-président, Franco Frattini, quant à lui, le remplaçant du maudit Rocco Buttiglione (accusé à juste titre de propos discriminants), est membre de plusieurs organisations de même nature : FREE, le Rotary Club et l’Aspen Institute. Cette dernière est un club sélect qui regroupe de nouveau des dirigeants extrêmement influents aux Etats-Unis, en Europe et au Japon. Elle a été fondée par Henri Catto et a parmi ses membres actifs, par exemple, Madeleine Albright, secrétaire d’Etat de Clinton, Dick Cheney, vice-président des Etats-Unis, Condoleeza Rice, la future secrétaire d’Etat du gouvernement Bush 2, Paul Wolfowitz, vice-secrétaire à la Défense, Robert Zoellick, le représentant américain à l’OMC [4], Kenneth Dam, le vice-secrétaire au Trésor, Henry Kissinger, William Perry, secrétaire à la Défense sous Clinton, Strobe Talbott, vice-secrétaire d’Etat sous Clinton, Thomas Pickering, sous-secrétaire d’Etat de Clinton en charge de la Politique et actuel administrateur de Boeing, Paul Volcker, l’ancien président de la Federal Reserve (banque centrale américaine)... Rien que du beau « monde » [5].
On pourrait poursuivre ainsi la liste de tous les commissaires. Une bonne part détient des titres financiers ou fonciers. Mais cela serait fastidieux [6].
Epinglons seulement la nouvelle commissaire à la Concurrence, la libérale néerlandaise Neelie Kroes. Pour décliner toutes ses participations, il lui faut quatre pages A4. Elle a été, notamment, administratrice de Lockheed Martin, le géant américain de la Défense, de septembre 1996 à décembre 1997, de Lucent Technologies Netherlands, d’octobre 1999 à septembre 2004, de McDonald’s Netherlands, de juillet 1991 à décembre 1998, de PricewaterhouseCoopers, une des quatre grandes firmes internationales d’audit, de janvier 1994 à janvier 2002, de Thales Netherland (ex-Thomson), également une firme de Défense (mais française, cette fois), d’avril 2003 à septembre 2004, de Volvo, la plus grande entreprise suédoise, d’avril 2003 à septembre 2004.
Neelie Kroes a dû démissionner de tous ces postes en septembre 2004 pour entrer en novembre dans la nouvelle Commission. Elle a dû se séparer formellement de sa propre société financière et surtout de sa gestion. Mais peut-on croire à l’indépendance parfaite d’une telle commissaire qui navigue régulièrement dans les eaux patronales ? En outre, c’est pour exercer un mandat clé de la Commission, détenant les pouvoirs les plus importants de celle-ci, puisqu’elle juge et sanctionne l’évolution de la libre concurrence (affichée, rappelons-le, comme un des objectifs de l’Union européenne par le traité constitutionnel).
Dans ce cas, le « je vous ai écoutés » de Barroso s’adressait-il aux 480 millions de citoyens européens ou à la clique possédante, les 2,6 millions d’Européens qui jouissent d’une fortune financière de plus d’un million de dollars [7] ?
Henri Houben
[1] « Discours de M. José Manuel Barroso », Strasbourg, le 17 novembre 2004.
[2] « Discours de M. José Manuel Barroso », Strasbourg, le 17 novembre 2004.
[3] Pour ceux qui ne le savent pas, Rockefeller est le fondateur de l’empire du pétrole aux Etats-Unis : la Standard Oil. Aujourd’hui, les intérêts de la famille demeurent dans le pétrole (ExxonMobil...) et dans la finance (JP MorganChase).
[4] Organisation mondiale du commerce.
[5] La plupart se retrouvent dans le groupe de Bilderberg, dans la Trilatérale et vont au Forum de Davos (quand ils en ont le temps).
[6] Pour le détail, on vous renvoie au tableau : La nouvelle Commission européenne
[7] CapGemini & Merrill Lynch, World Wealth Report 2004, p.2. Voir l’article consacré à ce sujet sur le site : La roue de la fortune