La nouvelle Commission affirme : priorité au processus de Lisbonne
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Les responsables européens parlent de Lisbonne, de l’agenda de Lisbonne, du processus ou de la stratégie de Lisbonne. Mais qu’y a-t-il dans le texte de Lisbonne ?
En fait, il s’agit des conclusions tirées, à partir d’un document de la Commission, lors du Conseil européen - soit la réunion des 15 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union - de mars 2000 dans la capitale portugaise.
Que trouve-t-on comme mesures concrètes ? Essayons d’en récapituler les principales.
De cette manière, on verra clairement que :
1. le processus de Lisbonne est un programme d’ensemble, de grande envergure ;
2. il est conditionné par l’objectif de compétitivité ; c’est en fonction de cela que tout est décidé ;
3. le social, emploi, sécurité sociale, services publics..., sont déstructurés pour réaliser l’objectif de compétitivité ;
4. Lisbonne comprend à la fois des mesures pour flexibiliser le marché de l’emploi, pour généraliser les postes précaires, pour allonger les carrières professionnelles, pour mettre à mal la sécurité sociale, pour privatiser des secteurs clés de l’économie, pour mettre les universités et l’éducation en général au service des entreprises, pour imposer le marché dans quasiment tous les secteurs des services (comme Bolkestein le prévoit)... ;
5. c’est l’attaque majeure contre les acquis sociaux de la part des organisations patronales et des responsables européens.
Les responsables européens parlent de Lisbonne, de l’agenda de Lisbonne, du processus ou de la stratégie de Lisbonne. Mais qu’y a-t-il dans le texte de Lisbonne ?
En fait, il s’agit des conclusions tirées, à partir d’un document de la Commission, lors du Conseil européen - soit la réunion des 15 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union - de mars 2000 dans la capitale portugaise.
Que trouve-t-on comme mesures concrètes ? Essayons d’en récapituler les principales.
D’abord, l’objectif central est défini au point 5 :
« L’Union s’est aujourd’hui fixé un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » .
Le but central est donc bien de renforcer la compétitivité des entreprises. La question de la cohésion sociale, du plein emploi ne va, en fait, dépendre que de la réalisation de cet objectif économique : on aura le plein emploi que si on rend l’économie européenne compétitive, c’est-à-dire à même de vaincre les autres. C’est donc une mission guerrière, même si cela s’applique à l’économie : il faut faire mieux que les autres et, alors, nous, on aura les emplois et les autres... Il faut être conscient que cela signifie que les autres ne les auront plus ou en auront moins ou en auront dans les métiers les plus dégradants.
L’aspect soi-disant social de Lisbonne est donc une mystification complète. Et en appeler à réaliser Lisbonne pour développer l’emploi également.
Dans le point 10, il est écrit que : « il faut créer les conditions qui permettront au commerce électronique et à l’Internet de prospérer » .
Le point 13 souligne qu’il faut « veiller à ce qu’un brevet communautaire soit disponible d’ici à la fin de 2001 » [1].
Le point 14 insiste pour réduire les « coûts inhérents aux activités commerciales » et aux « excès de bureaucratie, qui constituent une charge considérable pour les PME » [2]. Ce sont des points économiques.
Le point 17 est très important. Il consacre la politique de libéralisation (et donc de privatisation) dans les services, antérieurement contrôlés par les pouvoirs publics. Il est donc demandé de prendre des mesures de sorte à « définir d’ici à la fin de 2000 une stratégie pour l’élimination des entraves aux services » . Ceci est explicitement ce que le commissaire Frits Bolkestein a lancé. Dès lors, pourquoi s’opposer à Bolkestein (à juste titre), mais soutenir le processus de Lisbonne qui ne dit pas autre chose. Bolkestein affirme agir en pleine application de Lisbonne et ceci est l’article qui justifie son action (du point de vue des instances européennes).
Mais le point 17 va plus loin. Il veut aussi « accélérer la libéralisation dans des secteurs tels que le gaz, l’électricité, les services postaux et les transports ». Au point 11, il était mis : « D’ici à la fin de 2001, les marchés des télécommunications doivent être pleinement intégrés et libéralisés » . Donc, en d’autres termes, le processus de Lisbonne demande bien de privatiser quatre grands secteurs : les télécommunications, le transport, l’énergie (gaz et électricité) et la poste.
Pour ceux qui hésitent sur la politique ultra-libérale décidée à Lisbonne, le point 17 se termine en demandant à la Commission, au Conseil et aux Etats membres « de poursuivre leurs efforts visant à favoriser la concurrence et à réduire le niveau général des aides d’Etat, en mettant l’accent, non plus sur un soutien à des sociétés ou à des secteurs individuels, mais plutôt sur la poursuite d’objectifs horizontaux d’intérêt communautaire, tels que l’emploi, le développement régional, l’environnement et la formation ou la recherche » . Autrement dit, on ne peut plus aider la Sabena qui fait faillite, mais donner des aides à la recherche en général, à la compétitivité, etc., sans savoir ce que cela aura comme impact social ou environnemental.
Le point 21 insiste pour supprimer « les obstacles à l’investissement dans les fonds de pension » . C’est l’ouverture totale pour les fonds privés qui peuvent capter l’épargne populaire pour l’investir dans les firmes des nouvelles technologies. Où est le social ?
Le point 23 parle de « réduire la pression fiscale qui pèse sur le travail, notamment sur le travail peu qualifié et faiblement rémunéré » . C’est la course à l’abaissement des coûts salariaux.
Le point 26 veut « mettre en place entre les écoles, les centres de formation, les entreprises et les établissements de recherche des partenariats pour l’acquisition des connaissances qui soient profitables à tous » . Mais surtout qui soient commercialisables, donc profitables surtout aux entreprises. C’est la marche en avant vers la privatisation de l’enseignement.
Le point 29 s’attache à définir la flexibilisation du marché de l’emploi. Il faut « accorder plus d’importance à l’éducation et à la formation tout au long de la vie, composante essentielle du modèle social européen, notamment (...) en exploitant, grâce à une gestion souple du temps de travail et à l’alternance formation-emploi, la complémentarité entre cette éducation et cette formation et la capacité d’adaptation (...) » . Ce charabia signifie que les gens n’auront plus des emplois à durée indéterminée, mais qu’ils devront continuellement alterner entre des périodes de travail temporaire, de chômage et de formation - il n’y a pas que la formation qui sera tout au long de la vie - en fonction des besoins des entreprises.
On arrive au point 30 qui définit l’indicateur majeur pour voir si l’Union progresse dans le sens indiqué : le taux d’emploi (ou d’activité), c’est-à-dire la proportion des gens ayant un emploi (mais pas nécessairement à plein temps) et la population ayant entre 15 et 64 ans. Il faut que ce taux soit de 70% pour 2010 (contre 61% en 1999) et le taux pour les femmes soit de 60% (contre 51% en 1999).
A Barcelone, le Conseil européen a ajouté 50% pour les travailleurs âgés (entre 55 et 64 ans). Il a aussi élevé l’âge de prise effective de la pension de cinq ans. Rien que des mesures sociales ! Les gens se crèvent au boulot, mais l’Union européenne leur interdit de partir en pension (et certainement en prépension) avant qu’ils ne soient complètement épuisés.
Voilà les principales mesures à caractère social qui se trouvent dans les conclusions de Lisbonne.
Il est clair que c’est un programme libéral et rien d’autre. Il s’appuie, en premier lieu, sur une argumentation purement patronal : l’emploi dépend en fait des résultats des entreprises ; donc améliorons d’abord ceux-ci. Ce qui signifie en clair : si les riches sont plus riches, ils pourront donner un plus de miettes aux « pauvres », ici aux salariés. Mais l’histoire n’a jamais montré cette automaticité. Et en matière de justice sociale et d’égalité de tous les citoyens, c’est purement dégradant.
Le reste des mesures sont des attaques sur ce qu’on appelle le « modèle social européen », dont le texte de Lisbonne fait référence : flexibilisation de l’emploi, chasse aux chômeurs pour qu’ils acceptent les emplois proposés, réduction des charges sociales (donc conséquence : menaces sévères sur la sécurité sociale, qui n’aura plus assez de financement), privatisations, libéralisation des marchés notamment dans le services, élimination d’une politique publique active...
Lisbonne, c’est le retour du capitalisme sauvage du XIXème siècle en Europe. Rejetons-le.
Henri Houben