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Sommet européen de Bruxelles des 22 et 23 mars 2005

Les succès du « Non à la Constitution »

par Henri

La France n’a pas encore voté. Elle n’a pas encore pris part au référendum sur le traité constitutionnel. Elle ne le fera que le dimanche 29 mai, rappelons-le. Mais, déjà, les conséquences s’en font sentir.

Les dirigeants européens, réunis comme chaque printemps pour évaluer l’avancement du processus de Lisbonne, ont cru bon devoir reculer sur leurs ambitions : un pacte de stabilité révisé, une directive Bolkestein mise en réserve, une stratégie de Lisbonne mal relancée.

Les responsables européens ont peur. Un « Non » hante l’Europe, celui du vote référendaire de la France. Il est clair qu’une victoire du « Non » changerait la donne au niveau européen. Les avancées libérales pourraient bien être freinées par une telle situation. Cela pourrait bien relancer les mouvements sociaux à travers l’Europe. Et à ceci, Attac ne peut pas être indifférent.


Sommet européen de Bruxelles des 22 et 23 mars 2005

Les succès du « Non à la Constitution »

La France n’a pas encore voté. Elle n’a pas encore pris part au référendum sur le traité constitutionnel. Elle ne le fera que le dimanche 29 mai, rappelons-le. Mais, déjà, les conséquences s’en font sentir.

Les dirigeants européens, réunis comme chaque printemps pour évaluer l’avancement du processus de Lisbonne [1], ont cru bon devoir reculer sur leurs ambitions.

D’abord, ils ont introduit davantage de flexibilité dans le pacte de stabilité. Celui-ci est fondé sur plusieurs critères, dont celui qui empêche un pays d’avoir un déficit public plus élevé que 3% du produit intérieur brut (PIB) [2]. A Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernement sont revenus sur cette règle stricte, en acceptant des aménagements et des dépassements éventuels d’un pour-cent supplémentaire pour une période temporaire.

Ensuite, ils ont accepté de revoir la directive Bolkestein. En réalité, le texte des conclusions de la présidence explicite seulement une révision, un toilettage du texte : « Pour promouvoir la croissance et l’emploi et pour renforcer la compétitivité, le marché intérieur des services doit être pleinement opérationnel tout en préservant le modèle social européen. A la lumière du débat en cours, qui montre que la rédaction actuelle de la proposition de directive ne répond pas pleinement aux exigences, le Conseil européen demande que tous les efforts soient entrepris dans le cadre du processus législatif pour dégager un large consensus répondant à l’ensemble de ces objectifs. Le Conseil européen note que des services d’intérêt économique général efficaces ont un rôle important à jouer dans une économie performante et dynamique »  [3]. Mais c’est possible que soit supprimée la question qui surtout faisait problème, à savoir celle du pays d’origine, permettant à un ouvrier grec de travailler en Allemagne aux conditions sociales grecques.

Enfin, le processus de Lisbonne aurait dû être relancé. C’était le projet de la Commission. Elle en avait fait son cheval de bataille. En réalité, ce fut un envol très limité. Pas de grands discours, pas de grandes sorties, pas de grands objectifs à présenter aux média.

Les dirigeants des grandes entreprises en sont déçus. Ils attendaient mieux. L’éditorialiste de The Economist, journal économique britannique proche des milieux des affaires, a lancé : « Une nouvelle fois, les dirigeants de l’Union ont montré qu’ils manquent du courage pour faire le nécessaire, pour relancer cette économie stagnante »  [4]. L’UNICE, l’organe patronal européen, regrette que « le Conseil européen n’a pas profité de cette opportunité pour relancer vigoureusement la stratégie de Lisbonne »  [5].

C’est que les hommes politiques sentent la pression sociale monter. Les sondages en France en faveur du « non » au traité constitutionnel, partis fort bas par rapport aux « ouis », dépassent désormais largement ces derniers. C’est l’inquiétude chez les dirigeants. D’autant que la manifestation du 19 mars à Bruxelles a rassemblé environ 75.000 personnes, dont plusieurs milliers de partisans du « non ».
En paraphrasant une citation célèbre, on pourrait écrire : « un Non hante l’Europe : celui de la France ». L’éditorialiste de The Economist y fait référence : « Le rejet de la Constitution par la France - un des plus grands pays de l’Union et un des fondateurs - serait une immense défaite pour la Commission »  [6]. Et John Palmer, correspondant pour l’European Policy Centre, un des think tanks les plus influents sur les questions politiques, reprend les termes d’un ministre des Affaires étrangères européen qui n’a voulu dévoiler son nom : « Si 24 pays votent « oui » au traité, mais pas la Grande-Bretagne, c’est une crise pour les Britanniques. (...) Mais si la France vote « non », c’est pire qu’une crise pour l’Europe ; c’est une catastrophe »  [7].

D’où un recul au sommet de Bruxelles. Les responsables européens acceptent de lâcher un peu la bride, pour éviter d’emballer le cheval. Il leur faut montrer un peu de social et ajouter qu’ils insistent sur les emplois de qualité et sur la lutte contre la pauvreté. L’Europe, vendue par les dirigeants, ne peut pas paraître antisociale, antidémocratique. Ce que, pourtant, elle est fondamentalement.

D’autant que les aménagements laissent en fait les projets initiaux intacts.

Ainsi, le pacte de stabilité est toujours sous la direction de la Banque centrale européenne (BCE), dont les gouverneurs sont indépendants des pouvoirs publics et dont la mission primordiale n’est pas la défense de l’emploi, voire de la croissance, mais la stabilité des prix.

La directive Bolkestein n’est pas retirée. Elle va être rediscutée. C’est bien le sens du texte des conclusions de la présidence. Et, de toute façon, la libéralisation des services se trouvent en tête des préoccupations du traité constitutionnel. Il constitue une partie du processus de Lisbonne, celle qui concerne l’achèvement du marché intérieur, notamment dans les services [8].

De même pour la stratégie de Lisbonne, même si elle n’est pas relancée par une mesure spectaculaire et symbolique, elle se poursuit. Et, à la suite de ses mentors patronaux comme la Table ronde des industriels (ERT) et l’UNICE, le président de la Commission souligne que l’important est l’application des mesures déjà décidées. Lors du dernier Forum économique mondial à Davos, il a déclaré devant un parterre de chefs d’entreprise intéressés, à propos du processus de Lisbonne : « Alors que le but global est correct, l’application en a été pauvre. Trop d’objectifs, trop d’engagements, trop peu de suivi ». Mais, pour mettre en route, les Etats membres sont centraux : « Les politiques d’emploi et les politiques sociales tombent sous leurs responsabilités. Ils doivent mettre en place les conditions qui permettront aux entreprises de créer plus et de meilleurs emplois. Chaque Etat membre devra, pour cela, formuler un programme d’action national. Celui-ci expliquera comment il compte réaliser les objectifs de Lisbonne »  [9]. Ainsi, la balle est dans le camp des Etats.

Donc, rien n’est joué. Comme le souligne le syndicat de cadres français (CFE-CGC) : « Gardons-nous bien de crier victoire, connaissant la duplicité des eurocrates qui s’empressent de faire revenir par la fenêtre ce que la pression populaire a fait sortir par la porte »  [10].

Mais le recul des chefs d’Etat et de gouvernement montre au moins qu’ils ont peur. Ils craignent le verdict populaire. Ils n’aimeraient pas que les populations, et en particulier les salariés, prennent conscience totalement de la véritable nature de la construction européenne : une Union antidémocratique, une Union antisociale, une Union non pacifique, bref une Union au service d’une minorité de grandes sociétés industrielles et financières.

C’est donc cela l’enjeu de la bataille du référendum en France le 29 mai prochain. Et il aura une valeur d’exemple pour toute l’Europe. Ou les dirigeants européens reçoivent un nouveau chèque en blanc pour avancer dans le démantèlement des droits sociaux et humains, dans les privatisations, dans les avantages aux entreprises et aux actionnaires... Ou alors ils sont bloqués par un vote négatif de la part d’une majorité de Français. Et s’ils doivent reculer sur le traité constitutionnel, rien ne dit qu’ils devront pas aussi rebrousser chemin sur bien d’autres points : la politique monétaire, la directive Bolkestein, le processus de Lisbonne. Rarement un vote n’aura tant d’importance.

Mais cela signifie aussi que, pour gagner, pour refluer l’Union européenne, pour lui extirper ses aspects les plus libéraux, les plus antisociaux et les plus antidémocratiques, il faut aider nos amis français à rejeter le traité constitutionnel. Puisque nous ne pouvons pas nous exprimer, puisque nos hommes politiques ne nous estiment pas capables d’aborder cette question, lançons un « Non » à travers les frontières pour qu’ils s’ajoutent aux bulletins négatifs déposés le 29 mai.

S’il y a un cri de combat dans cette guerre, c’est le « Non ». Pas le « oui ».

Henri Houben

Notes

[1Le processus de Lisbonne est cette orientation, décidée au sommet européen de mars 2000, de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde, à travers un développement des entreprises, une flexibilisation du marché de l’emploi et des conditions de travail, une privatisation de plusieurs services publics, entre autres. Voir l’article sur le site d’Attac qui détaille les mesures concrètes prises à Lisbonne : L’article

[2Le PIB estime la valeur marchande créée durant un an par un pays. Le déficit public est la différence entre les recettes des pouvoirs publics et leurs dépenses (celles-ci ne pouvant excéder de 3% du PIB les recettes).

[3Conseil de l’Union européenne, Conclusions de la présidence, Bruxelles, 22 et 23 mars 2005, p.7.

[4The Economist, 29 mars 2005 : The Economist

[5UNICE, « Business Reaction to the EU Summit on 22-23 March : Growth and Jobs : What Europe Needs », Bruxelles, le 23 mars 2005. UNICE

[6The Economist, 29 mars 2005 : The Economist

[7John Palmer, « Re-engineering the European Union’s economic and social project », European Policy Centre, Bruxelles, 23 mars 2005 : European Policy Centre

[8Cela se retrouve dans le point 17 des Conclusions de la présidence, Lisbonne, 23 et 24 mars 2000.

[9José Manuel Barroso, « Europe 2010 : a European renewal », World Economic Forum, Plenary Session, Davos, 29 janvier 2005 : Forum économique mondial

[10Le Monde, 24 mars 2005.


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