Cinéma d’Attac - 26 septembre
Un film de Marie-France COLLARD
Lundi 26 septembre à 20 heures 30,
à l’Espace SENGHOR
366 chaussée de Wavre
(près de la Place Jourdan)
Dès 21 heures 30,
LE DÉBAT
« Délocalisations, saccage social,
surexploitation :
la Bourse en rêvait,
les multinationales l’ont fait »
avec
Jacques
NIKONOFF
(Président d’ATTAC-France),
Marie-France COLLARD,
Carole CRABBÉ
(Responsable de la Campagne
Vêtements Propres
Magasins du Monde-Oxfam),
et Michel HELLAS
(journaliste, modérateur).
Prix d’entrée unique : 4,5 euros
(débat compris)
En 1999, Levi’s -première marque de jeans au monde, qui a su faire rêver plusieurs générations grâce à une image de liberté, d’aventure et de rébellion- met en place un plan radical de restructuration. Au programme, la fermeture de dizaines d’usines, dont treize aux Etats-Unis et, pour ce qui nous concerne, trois en Belgique et une en France. Raisons invoquées : surproduction, coûts trop élevés, baisse des ventes de jeans.
Mais alors que ses dirigeants invoquent, la main sur le cœur, des difficultés économiques, la multinationale crée des filiales en Amérique latine, et sous-traite sa production à bas prix à des dizaines de petits ateliers en Indonésie et aux Philippines.
Les ouvrières belges et françaises accusent : ce ne sont donc pas des problèmes économiques qui motivent Levi’s, mais bien la maximalisation de ses profits par la pratique de toutes les formes de délocalisation. Notamment la plus pernicieuse, la sous-traitance, qui lui permet de se débarrasser totalement de la responsabilité de la gestion de ce qu’ils appellent « le facteur humain ».
Même si les grands médias en parlent peu ou mal, des dizaines de milliers d’ouvriers et d’employés partagent chaque année en Europe l’humiliation d’un licenciement. Parce que l’on n’atteint pas les 12 ou 15% de « rendement sur fonds propres » exigés par les actionnaires, on perd son salaire, son cercle d’amis, son honneur professionnel, sa sécurité, son avenir et son identité.
Pour beaucoup, les conséquences financières, psychiques et familiales sont désastreuses. Dans Ouvrières du monde, Marie-France Collard parvient à faire ressentir cette brutalité en partageant la tristesse et le vide qui en résultent.
2.609... Vous le saviez, vous ? Bob Haas, le propriétaire de Levi Strauss, possède une fortune personnelle de 26 milliards de nos francs. Qu’à cela ne tienne, la guerre économique exige que la firme délocalise ses usines des Etats-Unis vers l’Amérique Centrale, et d’Europe Occidentale vers l’Europe de l’Est. Le 29 septembre 1998, Levi’s ferme ainsi ses usines de Gits, Wervik, Deurne et La Bassée (Arras) : 2.609 ouvrières se retrouvent à la rue.
« Ce ne sont pas nos salaires qui sont trop élevés, mais leurs bénéfices qui ne le sont jamais assez », déclarera dans des sanglots mêlés Marie-Thérèse Couvreux, une des délégués syndicales les plus combatives. Car Ouvrières du monde est aussi un film sur la résistance. Une résistance qui, en Belgique, continuera de s’épuiser dans le carcan du syndicalisme de concertation (avec les licenciements rapidement acceptés et les discussions limitées à l’accompagnement social). Alors que dans les anciennes régions minières du Nord de la France par contre -là où il y a peu de chance de retrouver du boulot-, les ouvrières tenteront de conserver leur travail coûte que coûte. Souvent à coup d’actions ou en ayant recours à des concessions pathétiques -continuant à travailler pendant la période de fermeture ou en acceptant l’ultime proposition de sacrifier 10% de leur salaire, avec l’aval amer des déléguées CGT.
L’un des points d’orgue du film ? Le moment où Miet Smet, alors ministre de l’Emploi et du Travail, déclare : « L’autorité politique ne peut pas toujours faire comme si elle pouvait résoudre un certain nombre de choses auxquelles, en réalité, elle est incapable de trouver réponse » . En France, sa collègue socialiste Elisabeth Guigou aura le même commentaire définitif : « D’un point de vue économique, le pouvoir de décision se trouve du côté du chef d’entreprise » . Ou encore : « La loi est nécessaire mais elle n’est pas omnipotente » . Une variation sur le fameux « Ce n’est pas par la loi que nous réglerons l’économie, l’Etat ne peut pas tout faire » de Lionel Jospin au moment de la restructuration de Michelin.
CINÉMA-GUÉRILLA. Pourquoi ne pas l’avouer ? Revoir Ouvrières du monde déclenche irrémédiablement les mêmes larmes. Pleurer de voir pleurer les ouvrières françaises et belges juste licenciées, ou de voir réduites à l’esclavage les ouvrières turques et indonésiennes, réembauchées aussitôt par la trop célèbre multinationale.
Mais au-delà de l’injustice et de la trahison, ou du sentiment d’impuissance à agir sur une économie d’échelle planétaire, ce documentaire agit comme un véritable exercice de guérilla contre les délocalisations et « la mondialisation ». Pour montrer, expliquer, et surtout combattre l’ignorance. Marie-France Collard dénonce, accuse et condamne le culte de la performance aux dépens des êtres humains en cinquante-deux minutes décapantes.
Alors que la délocalisation des entreprises attise la haine et l’incompréhension d’un bout du monde pour l’autre bout du monde, Collard réussit à tisser de véritables liens de solidarité et de connaissance réciproque -s’attachant à filmer, dans les plus petits détails du quotidien, Marie-Thérèse, l’ex-employée de l’usine de La Bassée ; Rosa licenciée de l’usine de Gits en Belgique ; ou Yanti, l’ouvrière indonésienne qui travaille, dans des conditions inhumaines, quatre-vingts heures par semaine pour répondre à ses seuls besoins alimentaires... Mais soyons justes : en novembre 1997, « Bob » Haas a bien reçu de l’ONU un prix pour l’amélioration des conditions de travail de ses employés.
Toujours bon à rappeler également. Marie-France Collard est issue du milieu théâtral. Elle a participé à l’écriture de l’incroyable Rwanda 94 (ceux qui s’en souviennent parlent encore de déchirure). Elle a longtemps été assistante et monteuse jusqu’à ce que l’envie la tenaille de réaliser ses propres films. Le sujet des rapports Nord et Sud est une de ses priorités.
PARTI PRIS. « Si on parle du monde, déclare honnêtement Collard, on ne peut en parler que d’une manière partisane. La problématique des pays du Sud est en rapport immédiat avec les décisions prises dans les pays du Nord » . Dans la même veine, la cinéaste a une réflexion très aboutie sur les mécanismes de globalisation du travail, sur le rôle des firmes transnationales. « On peut s’interroger sur la menace psychologique que constitue le chantage à la délocalisation. Les gouvernements prennent de plus en plus de mesures qui visent à diminuer le coût du travail pour l’employeur, ce qui accentue son désengagement social » , souligne une voix off pendant le film. Pour garder leur emploi, les employés finissent alors par accepter l’inacceptable car « les travailleurs sont amenés, en final, à dénigrer leurs propres revendications et à remettre eux-mêmes en question leurs droits acquis » .
La volonté première du film, confie Marie-France Collard, est de « combattre l’idée que les ouvrières du Sud prennent l’ouvrage des ouvrières de chez Levi’s. J’ai voulu montrer qu’elles sont toutes victimes de la même multinationale et du même système économique. La misère des unes entraînant la misère des autres » . Ode convaincante, passionnée et magistrale : à la sentence simpliste qui consiste à rejeter la faute sur l’autre, Marie-France répond, elle, en réaffirmant la solidarité des petits contre les grands.