Manifestons ensemble ces 11 et 14 février prochains à Strasbourg
La directive « Bolkestein » doit être votée au Parlement européen à Strasbourg, ce 14 février 2006. De la version originale, il reste encore pas mal de propositions inacceptables.
A juste titre, cette directive sur la libéralisation des services mobilise les travailleurs, les progressistes, les syndicalistes.
Mais, derrière elle, il y a une stratégie plus vaste, plus globale, plus pernicieuse encore, dans laquelle elle s’inscrit en fait : le processus de Lisbonne. Lutter contre la directive Bolkestein et ne pas dénoncer ce qui est en train de se préparer avec les nouvelles politiques européennes d’emploi tient du paradoxe.
Levons celui-ci. Contre Bolkestein, contre Lisbonne. Pour une Europe radicalement différente, une Europe des peuples et des services publics.
Toutes les informations pour manifester à Strasbourg les 11 et/ou 14 février ou pour envoyer des lettres aux parlementaires européens, cliquer ici :
Campagne contre Bolkestein
Directive Bolkestein et stratégie de Lisbonne : même combat !
De nombreux courants politiques et sociaux ont vilipendé la proposition de libéralisation des services faite par la commission début 2004, directive dite « Bolkestein », du nom de l’ancien commissaire européen au Marché intérieur. A juste titre, ils en soulignent les conséquences sociales dramatiques, parce qu’elle mettrait en concurrence de manière sauvage les systèmes sociaux et économiques des Etats membres dans le domaine des services sans harmonisation préalable.
En revanche, la « stratégie de Lisbonne » adoptée lors du sommet européen de mars 2000 dans la capitale portugaise reçoit moins d’attention et moins d’opposition.
Or, le projet d’ouverture des services à la concurrence se base non seulement sur les dispositions du traité de l’Union Européenne [1] mais découle aussi en ligne droite des objectifs de Lisbonne. Le texte de la directive le stipule d’ailleurs explicitement : « la présente proposition de directive s’inscrit dans le processus de réformes économiques lancé par le Conseil européen de Lisbonne pour faire de l’UE, à l’horizon 2010, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. La réalisation de cet objectif rend, en effet, indispensable la réalisation d’un véritable Marché intérieur des services. (...) » [2].
La directive Bolkestein est donc une application de la stratégie de Lisbonne et vise, tout comme celle-ci, à augmenter la compétitivité de l’économie européenne, par quoi il faut en fait entendre « la compétitivité des entreprises européennes ». En effet, dans une Europe composée de systèmes sociaux et économiques très inégaux, la mise en concurrence sans harmonisation préalable que ce projet de directive prévoit dans le domaine des services engendrera inévitablement, non seulement une libéralisation et privatisation de nombreux services publics, mais aussi une terrible concurrence à la baisse des salaires, conditions de travail, droits sociaux, prélèvements sociaux et fiscaux.
Et ceci est aggravé par le principe du pays d’origine, « principe selon lequel le prestataire est soumis uniquement à la loi du pays dans lequel il est établi et les Etats membres ne doivent pas restreindre les services fournis par un prestataire établi dans un Etat membre ». [3]
Ces risques de démantèlement social sont d’autant plus grands que la directive sur le détachement des travailleurs censée garantir le respect des règles sociales du pays d’accueil serait rendue inapplicable à cause de la suppression des pouvoirs de contrôle public prévue par la directive. Les modifications superficielles votées fin novembre par la commission marché intérieur du parlement européen ne changent nullement l’essence de la directive [4].
Un tel projet correspond sans aucun doute aux intérêts des entreprises et en particulier des plus grosses, qui pourront pénétrer plus facilement de nouveaux marchés et profiter de la concurrence à la baisse des standards sociaux et fiscaux. Evolutions qui, sans aucun doute, devraient baisser leurs coûts et donc les rendre plus compétitives, objectif ultime de la fameuse stratégie de Lisbonne.
Outre la libéralisation des services (y compris des services publics comme l’électricité, le gaz, la poste, les transports…), les recommandations de la stratégie de Lisbonne visent avant tout à améliorer les profits des entreprises et sont totalement antisociales.
Par exemple, Lisbonne promeut l’approfondissement de la libéralisation des marchés financiers sans régulation stricte. Ce qui risque d’augmenter leur instabilité et conférera une influence encore plus grande aux gros acteurs financiers, qui pourront encore plus facilement imposer leurs exigences de rentabilité aux entreprises. Un autre objectif central de cette stratégie est l’augmentation du « taux d’emploi ». Indicateur en apparence progressiste, il permet en réalité les mesures les plus antisociales, souvent qualifiées de « modernisation de la protection sociale » : allongement de la carrière, voire relèvement de l’âge légal de la pension, « activation », c’est-à-dire chasse aux chômeurs pour inciter ceux-ci à accepter n’importe quel emploi sous peine de sanctions, développement de tous les emplois précaires, démantèlement des régimes de sécurité sociale à cause des baisses d’impôts et de charges sociales censées favoriser l’emploi…
En fait, il est impossible que les mesures sociales et pour l’emploi proposées par cette stratégie ne soient pas antisociales, étant donné le cadre économique européen plus général dans lequel elle s’inscrit [5]. Elle cautionne en effet complètement les restrictions budgétaires imposées par le pacte de stabilité, la priorité donnée par la politique monétaire de la Banque centrale européenne à la lutte contre l’inflation ainsi que les principes de concurrence européens.
Si l’on accepte un tel cadre macro-économique, les politiques sociales et d’emploi ne peuvent dès lors que reposer sur une stratégie d’offre, c’est-à-dire, privilégiant les besoins des entreprises et réduisant leurs coûts. Les politiques de demande (investissements publics, augmentation du pouvoir d’achat par des salaires et prestations sociales élevés, politique monétaire expansive promouvant la croissance et l’emploi…) sont désormais exclues.
Les objectifs de croissance, d’emplois de qualité et de cohésion sociale proclamés par la stratégie [6] ne sont donc que des fioritures, tandis que l’objectif général de compétitivité des entreprises est lui bel et bien réel.
En fin de compte, tant la directive Bolkestein que la stratégie de Lisbonne ont pour but de permettre aux patrons d’entreprises et à leurs gros actionnaires de réduire leurs coûts et d’augmenter toujours plus leurs profits, et ce au prix d’attaques radicales contre les systèmes de sécurité sociale, la protection du travail et les services publics. L’agenda réel est celui d’une redistribution à l’envers : des pauvres vers les riches, du travail vers le capital.
Par conséquent, la bataille contre la directive Bolkestein est indispensable et exige qu’un grand nombre de militants manifestent devant le parlement européen les 11 et 14 février. Mais elle doit être prolongée par un combat contre la stratégie politique dont cette directive découle, la stratégie de Lisbonne, et contre le cadre institutionnel et économique plus général établi par les traités européens dans lequel s’insèrent ces politiques.
Sophie Heine
[1] La commission base sa proposition sur les articles 49 à 55 du traité instituant la communauté européenne qui interdisent les restrictions à la liberté de circulation et d’établissement des prestataires de services, dans, « Proposition de directive relative aux services », COM (2004), p.19, Texte de la directive
[2] « Proposition de directive relative aux services », ibid., p.3.
[3] « Proposition de directive relative aux services », ibid., p.4.
[4] Le champ d’application reste très vaste (de nombreux services publics sont encore concernés), le principe du pays d’origine subsiste sous un autre nom et les pouvoirs de contrôle des autorités publics sont toujours remis en question ; pour un bilan de ces modifications, voir : « la réunion de la commission IMCO sur la directive Bolkestein », Texte d’Attac France ; Et pour une critique générale conte la directive : A. Lecourieux, « 25 raisons de dire non à la directive Bolkestein » Texte de Lecourieux
[5] Les conclusions de Lisbonne font référence au point 22 au dialogue macro-économique instauré par le sommet de Cologne de 1999, qui soumet les politiques d’emploi aux impératifs macro-économiques européens ; et de toute façon, ces impératifs, ainsi que les règles de concurrence, sont ancrés dans le traité instaurant la communauté Européenne (traité de Nice, titres VI et VII). Analyses explicitant l’impact négatif du cadre économique européen sur les systèmes sociaux nationaux (trouvables sur Internet) : F. Scharpf, « The European social model : coping with the challenge of diversity », JCMS, 2002, vol. 40. (4) ; S. Chapon et C. Euzéby, « Vers une convergence des modèles sociaux européens ? », Revue internationale de sécurité sociale, 2/2002. Anne Dufresne, « Les grandes orientations de politique économique… », Revue belge de sécurité sociale, 2001.
[6] L’objectif stratégique que fixe la stratégie pour l’Union est de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale », point 5 des Conclusions de la présidence du conseil européen de Lisbonne, 22 et 23 mars 2000, Conclusions de Lisbonne