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Angle Attac (mars 2004) / 8-12 : ENSEMBLE, Défendre le Droit au Chômage


Lors de sa formation, en juillet 2003, le Gouvernement « Verhofstadt bis » avait fait rêver les chômeurs en promettant la création de 200.000 nouveaux emplois. Six mois plus tard, il s’apprête à les faire pleurer. A défaut d’avoir créé un seul emploi, le Gouvernement a annoncé, en conclusion du Conseil des Ministres extraordinaire qu’il a tenu ces 16 et 17 janvier 2004, une attaque frontale contre le droit à la sécurité sociale. Il entend mettre en œuvre (à partir de juillet 2004, après les élections régionales) un « contrôle renforcé des chômeurs ». Les organisations syndicales doivent maintenant être concertées. Au-delà de celles-ci, une large mobilisation citoyenne sera nécessaire pour défendre le droit au chômage.

Il y aura beaucoup plus d’exclusions qu’avant

La Belgique est l’un des rares pays où les forces de progrès social ont pu imposer et conserver l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales (qui garantit contre la perte de pouvoir d’achat) et l’octroi d’allocations de chômage non limitées dans le temps. Avec l’ensemble de notre sécurité sociale, ces mesures ont pour effet que le taux de pauvreté de notre pays reste l’un des plus bas en Europe et dans le monde.

Certes, l’absence de limitation dans le temps des allocations de chômage n’est dès aujourd’hui pas absolue. Depuis la fin des années ’80 certaines catégories de chômeurs se sont vues imposer une limitation de leur droit aux allocations. C’est ainsi que l’article 80 de l’arrêté royal réglementant le chômage prévoit la suspension des allocations pour les chômeurs/chômeuses cohabitant(e)s de longue durée.

Lorsqu’en juillet 2003 le Premier Ministre Verhofstadt annonce l’intention du nouveau Gouvernement de supprimer « l’article 80 » (ce qui est revendiqué depuis de nombreuses années, notamment par les associations féministes), on aurait pu espérer qu’il s’agisse d’un progrès social... Mais à bien écouter le Premier Ministre, c’est tout le contraire qui est prévu. Ce sont désormais l’ensemble des chômeurs qui sont menacés de retrait des allocations : « Le contrôle de pointage, devenu obsolète, est supprimé. Le fameux article 80 est suspendu temporairement. Il est remplacé dès le début par un accompagnement individuel du chômeur, l’élaboration d’un parcours adapté pour décrocher un emploi, un parcours qui devra être scrupuleusement suivi si le chômeur souhaite conserver son droit à une allocation. ».

Pour ceux qui auraient des doutes sur le sens de la mesure, M. Van Quickenborne, Secrétaire d’Etat à la simplification administrative, précise : "La suppression du pointage au chômage est un autre exemple [de simplification administrative]. C’est une pratique moyenâgeuse, que nous allons changer en obligation de recherche active. A la place d’aller chercher un cachet deux fois par mois, chaque personne devra, par exemple, se rendre au VDAB [Orbem ou Forem] deux fois par mois pour avec leur aide rechercher activement de l’emploi. L’idée de chômeur paresseux n’est pas correcte. Mais celui qui ne veut vraiment pas travailler, sera exclu et je pense qu’à la fin du processus il y aura beaucoup plus d’exclusions qu’avant.".

Ce ne sont pas les chômeurs qui sont indisponibles, mais bien l’emploi

Les organisations syndicales n’ont pas manqué de réagir lorsque (parallèlement au fait de prévoir, dès le budget 2004, 46 millions d’euros d’économies dans les dépenses de chômage suite à « une meilleure lutte contre la fraude sociale ») le Gouvernement a annoncé sa volonté d’engager 120 nouveaux inspecteurs pour renforcer le contrôle des chômeurs.

Ph. Paermentier, responsable national des Travailleurs sans emploi de la CSC, a dénoncé publiquement : « Toute fraude est inacceptable. Mais il faut bien constater que, dans ce pays, les chômeurs qui ont contribué à l’économie et qui se sont constitué des droits en matière de sécurité sociale sont considérés comme des fraudeurs honteux alors que des nantis médiocres font travailler leur argent (à défaut de leur voisin en chômage) au Luxembourg et bénéficient d’une amnistie fiscale au lieu d’une lourde peine de prison. [...] Plus l’emploi est rare, plus il y a des difficultés pour y accéder, plus on demande aux chômeurs de continuer avec énergie sa recherche. Le découragement et la démoralisation leur sont interdits sous peine de perdre définitivement ou temporairement leur allocation. C’est insupportable pour les plus de 600.000 demandeurs d’emploi de ce pays. [...] Faut-il encore rappeler que ces 600.000 femmes et hommes de Wallonie, de Flandre ou de Bruxelles, de Ford Genk, de Renault Vilvorde ou de Cockerill Sambre, n’ont pas choisi d’être chômeurs et de vivre avec une allocation de chômage moyenne de 700 euros ».

La FGTB a quant à elle prévenu « qu’elle s’opposera à une chasse aux chômeurs. [...] A ce sujet, la FGTB rappelle qu’elle a demandé la suppression de l’article 80. Cet article permet de supprimer les allocations de chômage de certains
chômeurs cohabitants. La FGTB a donc accueilli positivement la suspension de cet article, telle que prévue dans l’accord gouvernemental. Mais c’était pour faire mieux, dans une optique de réintégration des chômeurs dans le marché du travail. Pas question donc que le nouveau système annoncé soit plus négatif, particulièrement pour les isolés et les chefs de ménage. ».

Exclure des chômeurs... pour sauver la sécurité sociale ?

Mais ces déclarations n’ont manifestement pas suffi pour stopper le projet de limitation des prestations de chômage et de renforcement du contrôle des chômeurs porté par Frank Vandenbroucke, Ministre fédéral de l’Emploi.

Dans une interview de décembre 2003, prolongée par la publication carte blanche le 3 janvier, celui-ci déclare : « On va droit dans le mur. La Belgique affiche de mauvais scores en matière de budget, d’emploi et surtout de taux d’activité ». Evoquant l’élargissement de l’Union européenne, « qui va inciter beaucoup d’entreprises à se délocaliser et nous fera entrer en concurrence avec une main-d’œuvre beaucoup moins chère », puis le fait que « de nombreuses personnes s’inquiètent de leurs pensions et du coût des maisons de repos [...]. Il serait malhonnête de prétendre à ces personnes qui se font du souci que les politiques suivies offrent déjà la réponse au problème du vieillissement » , le Ministre propose ses « solutions » : retarder l’âge de la pension et renforcer le contrôle des chômeurs, mettre fin aux rigidités du marché de l’emploi, à « l’accompagnement insuffisant des chômeurs et [au] suivi trop faible, qui donne à certains le sentiment que l’allocation de chômage est un droit auquel aucun devoir ne fait contrepartie. ».

Enfin, à l’issue du Conseil du 17 janvier, le Ministre de l’Emploi a annoncé l’adoption du principe d’un « meilleur suivi des chômeurs » : « L’Office national de l’emploi (ONEM) suivra de près les demandeurs d’emploi pour éviter qu’ils ne se découragent. Celui qui refuse constamment de suivre une formation ou de rechercher du travail perdra progressivement ses allocations de chômage. Simultanément, le régime existant de suspension des allocations (le fameux ‘article 80’) sera abrogé. ». Le projet du Gouvernement étendrait à l’ensemble des chômeurs ayant atteint une certaine durée de chômage l’obligation de prouver qu’ils ont fait des efforts suffisants pour trouver un emploi. Après 12 à 24 mois, le chômeur serait convoqué par l’ONEM pour un premier entretien. Dès ce moment s’enclencherait une procédure par laquelle il serait tenu d’apporter la preuve qu’il fournit suffisamment d’efforts pour trouver un emploi. Si au terme de la procédure « l’ONEM estime qu’il n’a pas fourni assez d’efforts [...] il s’ensuivra une privation totale du droit aux allocations ». En outre, le pointage serait supprimé d’ici la fin de l’année 2004.

Il importe que les forces de progrès fassent sentir leur présence et leur mobilisation

Obtenir le retrait de ce projet du Gouvernement suppose d’abord le rejet de la présentation qu’en fait le Ministre de l’Emploi :

1. Non, il ne s’agit ni d’un projet qui vise à éviter que le chômeur « ne se décourage », ni d’une « simplification administrative », ni d’une mesure qui créera un seul emploi. Quand bien même chacun des 600.000 chômeurs enverrait un CV par jour, cet envoi annuel de 200 millions d’actes de candidature ne créerait pas un seul poste de travail supplémentaire auprès des employeurs ! Dans une situation de pénurie d’emploi, l’intensification des recherches des uns ou des autres modifie la composition de la file de chômage mais non son volume.

L’objectif du projet est de multiplier les exclusions pour diminuer le coût du chômage. Plus généralement, en supprimant le pointage et en remettant en question le principe de l’absence de limitation dans le temps des allocations de chômage, le projet ouvre la voie à des interprétations de plus en plus restrictives, au fil des années et au gré des économies programmées, de ce qui est considéré par l’ONEM comme « efforts suffisants » pour trouver un emploi. Si jusqu’ici le chômage est un droit, le projet tend à le transformer en une aumône pouvant être octroyée ou retirée arbitrairement

2. Non, raboter nos droits sociaux n’est pas la seule solution pour les préserver. Culpabiliser les chômeurs et les exclure du bénéfice des allocations n’est pas la seule politique de l’emploi possible. Le Ministre Vandenbroucke paraît oublier qu’aucun emploi ne sera créé si les ménages ne consomment pas, que l’emploi dépend avant tout de la croissance économique. Il feint d’ignorer les bons résultats pour l’emploi de la réduction du temps de travail à 35h réalisée en France par le Gouvernement Jospin. De la même façon, il semble négliger le fait que l’Etat et les Régions peuvent mener une politique de développement économique ou créer des emplois publics pour rencontrer des besoins non solvables.

Pour Vandenbroucke, comme pour Tony Blair, il ne s’agit plus de répartir les fruits de la croissance entre travailleurs et patronat mais simplement d’offrir, sur un marché sans « rigidités » ni régulations, la main d’œuvre la plus flexible et la moins chère possible. Lorsque le Président de la Fédération des Entreprises de Belgique déclare "En Belgique un ouvrier coûte en moyenne entre 40.000 et 44.000 euros par an. En Pologne ou en Hongrie, il coûte entre 4.500 et 5.000 euros et en Roumanie à peine la moitié", le Ministre de l’Emploi n’en déduit apparemment pas qu’il faut rejeter le projet de Constitution européenne ultra-libéral pour poser les bases d’une harmonisation sociale européenne à la hausse pour tous... mais plutôt qu’il faut diminuer nos droits sociaux et notre coût salarial pour rester concurrentiels avec l’ouvrier polonais. Une telle voie conduit manifestement à une impasse pour le monde du travail.

3. Non, le travailleur n’est pas l’ennemi du chômeur. Non, le chômeur n’est pas l’ennemi des pensionnés. A ceux-ci, le Ministre de l’Emploi veut faire croire que les pensions ne pourront être payées que si l’âge de la retraite est reculé et si les chômeurs sont plus sévèrement contrôlés, à ceux qui travaillent, il glisse l’idée que les chômeurs sont des profiteurs et, vis-à-vis de ces derniers, justifie ses mesures par le vieillissement de la population ! « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous », l’unité du monde du travail est la condition de ses victoires. Non, le droit au chômage ne peut sacrifié pour financer les pensions et les soins de santé. Prêter l’oreille à ceux qui prêchent sa division, comme le fait F. Vandenbroucke, c’est préparer la régression sociale pour tous.

Jean-Claude Van Cauwenberghe, Ministre-président de la Région wallonne, nous écrivait récemment, en réponse à notre interpellation : « je partage totalement vos regrets et vos appréhensions face au risque de voir les forces de droite du Gouvernement chercher à orienter la nécessaire politique de l’emploi vers une politique de cadeaux fiscaux inconditionnels et de stigmatisation des chômeurs. En toute honnêteté, nous devons avouer que cette ‘menace’ n’est pas une surprise et que seul un juste rapport de forces entre la droite et la gauche peut nous prémunir contre une telle dérive. Nous le savions d’emblée, cette coalition, voulue par l’électeur, imposera une vigilance constante. En réclamant la nomination d’un informateur socialiste, nous avons tenu à peser pleinement sur l’accord de gouvernement afin d’en assurer l’équilibre. Il nous appartient maintenant de veiller au respect de sa lettre et de son esprit dans les années à venir. Pour cela, il importe que les forces de progrès fassent sentir leur présence et leur mobilisation ». Ce « juste rapport de forces », favorable à la gauche, n’existe manifestement pas encore, et reste donc à créer...

A cet égard, la balle est aujourd’hui en partie dans le camp des organisations syndicales, qui pourraient décider de mobiliser chômeurs et travailleurs pour la défense de leurs droits, et le retrait de ce projet . Mais c’est aussi l’affaire de chacun, les élections régionales et européennes du 13 juin 2004 sont une opportunité pour obtenir ce retrait du projet. N’est-ce pas le vrai sujet de la campagne : comment pourrons-nous convaincre un ex-chômeur exclu de résister à la démagogie infecte du Vlaams blok et des partis politiques qui lui proposeront le racisme comme exutoire à son sentiment d’abandon ? Construirons-nous une Europe sociale ou accepterons-nous que nos acquis sociaux soient détruits les uns après les autres ? Le chemin d’une « autre mondialisation » ne passe-t-il pas d’abord par la défense des acquis ?

Et si les 600.000 chômeurs (ou les 4.200.000 travailleurs occupés, qui pourraient être demain au chômage) interpellaient leur organisation syndicale ou leur député(e) préférée sur ce sujet, par exemple en leur adressant un e-mail (voir ci-dessous) ? Et si... Qui pourrait croire que le Gouvernement oserait maintenir son projet si citoyens et organisations syndicales se mobilisent, ensemble, pour la défense de leurs droits ?

Arnaud Lismond,

Janvier 2004

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