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Vote du parlement européen sur la directive Bolkestein ce jeudi 16 février 2006

Compromis ou duperie ?

Bolkestein, ce nom évoque chez les progressistes une certaine répulsion. Car la directive de libéralisation des services qu’a déposée cet ancien commissaire européen et cadre de Shell, implique une concurrence effrénée des travailleurs et donc une baisse attendue des rémunérations, des conditions de sécurité, …

En particulier, ce qui choque est la disposition du pays d’origine. Selon celle-ci, un salarié pourrait être engagé dans un autre pays européen aux conditions sociales de son pays d’origine, ou plutôt celle du pays d’origine de l’entreprise qui l’emploie. Ainsi, un travailleur chypriote pourrait trouver un emploi de services en Allemagne, mais aux conditions sociales de Chypre.

La seconde grande question est l’étendue de la directive. Concernerait-elle des secteurs aussi sensibles que la santé, l’éducation, la culture… ?

La directive a mobilisé rapidement les travailleurs et les syndicats, qui en voient très justement les dangers. Mais, malgré les promesses d’enterrer le projet, faites notamment en mars de l’année passée, elle a continué son petit bonhomme de chemin. Elle est arrivée ce mardi 14 février pour être votée au parlement européen. Ce qui a été réalisé deux jours plus tard, après un compromis entre les deux plus grandes formations politiques, le parti populaire (conservateur, le PPE) et le parti social-démocrate (le PSE), pour adoucir le texte.

Victoire ou défaite ? La bouteille est-elle à moitié vide ou à moitié pleine ? Ou même pas pleine du tout ?


Compromis ou duperie ?

Les deux principaux groupes politiques au parlement européen, les socialistes (PSE) et les conservateurs (PPE-DE), viennent de voter des amendements à la proposition de directive de la Commission visant à libéraliser les services (rebaptisée « directive Bolkestein »). Même si certains membres de ces groupes ont voté contre le texte de compromis (la plupart des socialistes belges et français notamment), la majorité l’a approuvé, alors que les Verts, les communistes et la gauche radicale l’ont rejeté.

Les avancées ne sont pas négligeables et n’auraient jamais été obtenues sans la mobilisation de toutes les forces progressistes. Néanmoins, il ne faut pas se laisser mystifier par ceux qui prétendent que le texte voté a écarté tous les dangers. Dans l’ensemble, l’esprit général de la directive n’a pas fondamentalement changé. Les principaux défauts identifiés par de nombreux syndicats et groupes de gauche dans la version proposée par la Commission subsistent.

En premier lieu, le champ d’application demeure très vaste. Outre les services d’intéret général (qui ne comportent aucune dimension économique et sont fournis gratuitement et directement par la puissance publique), la directive exclut désormais de nombreux services d’intérêt économique général : la santé, le logement social, les services de sécurité, les transports urbains, les services portuaires, les agences de travail intérimaire et l’éducation obligatoire. Néanmoins, d’importants SIEG sont toujours concernés par la libéralisation : l’eau, l’électricité, le gaz, la poste, la gestion des déchets, l’éducation non obligatoire, la culture… L’exclusion de l’ensemble des SIEG demandée par les communistes, les Verts et une partie des socialistes n’a donc pas été retenue.

En second lieu, l’inquiétude concernant le principe du pays d’origine (PPO) est loin d’être dissipée. Certes, on ne mentionne plus explicitement ce principe contre lequel tant de critiques ont été formulées, mais le flou juridique extrême qui caractérise le nouvel article 16 ne garantit nullement sa suppression effective. Si ce nouvel article ne stipule plus que le PPO s’appliquera aux prestataires de services résidant à l’étranger, il n’impose pas non plus l’application exclusive du droit du pays d’accueil, comme le réclamaient certains socialistes ainsi que les groupes Verts et communistes.

Le nouvel article 16 (désormais intitulé « liberté de prestation des services ») affirme que les prestataires établis dans un autre Etat membre (EM) devront pouvoir exercer librement leurs activités dans les autres EM et que ceux-ci ne pourront leur imposer que des obligations respectant les critères de « non-discrimination » (sur base de la nationalité), de « nécessité » (au regard d’objectifs de politique publique, de sécurité publique, de protection de la santé et de l’environnement) et de « proportionnalité » (entre l’objectif poursuivi et les moyens utilisés). Dans le cas contraire, la Commission ou un particulier (une entreprise par exemple) pourraient donc attaquer l’EM concerné devant la Cour de Justice européenne. Celle-ci serait alors habilitée à trancher et à décider si les règles qu’un Etat impose à des entreprises de services établies à l’étranger et exerçant sur son territoire sont légales ou non. Le pouvoir d’interprétation conféré à la Cour de Justice est donc énorme. Or, dans sa jurisprudence, celle-ci s’est toujours montrée bien plus favorable aux libertés économiques des entreprises privées qu’aux restrictions à la concurrence servant à défendre des objectifs d’intérêt général. De toute manière, il est totalement antidémocratique que des questions aussi fondamentales soient décidées par une Cour de justice et non par les citoyens eux-mêmes ou par leurs représentants.

Par ailleurs, comme dans la version originale, le nouvel article 16 énumère toutes les réglementations que les Etats membres n’auront absolument plus le droit d’imposer aux prestataires de services étrangers : obligation d’avoir un établissement sur le territoire, de se faire enregistrer devant les autorités, de détenir des documents d’identité, ou encore, limitation de la prestation de services à titre indépendant. Certes, un nouveau paragraphe rajouté affirme ensuite que la suppression de toutes ces réglementations n’empêche pas les Etats membres d’imposer aux prestataires de services des exigences pour des raisons de politique publique, de sécurité publique, de politique sociale, de protection du consommateur, de protection environnementale et de la santé ainsi que du droit du travail. Mais comment les Etats pourront-ils imposer de telles exigences si on leur retire les moyens d’action nécessaires comme le fait l’article 16 ? En effet, les réglementations dont l’article 16 exige la suppression (voir ci-dessus) constituent les instruments habituellement utilisés par les pouvoirs publics pour contrôler les entreprises. Dès lors, s’il est agréable d’entendre que les autorités ont le droit de défendre des objectifs d’intérêt public, quelle portée cela a-t-il si par ailleurs on les dépouille des instruments leur permettant de s’assurer de la mise en œuvre effective de tels objectifs ?

En outre, la formulation de l’article laisse entendre que les règles du pays d’origine, ou en tout cas d’autres règles que celles du pays de destination, pourront s’appliquer au prestataire de services résidant dans un autre EM. En effet, quelles règles s’appliqueront-elles lorsque l’Etat d’accueil se verra interdire d’imposer ses propres réglementations, autrement dit, lorsque régnera la complète « liberté d’exercer le service » : les règles du pays d’origine, les règles que choisira elle-même l’entreprise ?

L’article 16 remanié ne protège en fait aucunement contre le dumping social. Comme il n’est pas dit explicitement que c’est le droit du pays d’accueil qui prévaut dans tous les cas et que les pouvoirs réglementaires des Etats sont toujours autant attaqués que dans la version initiale de la directive . Il est très probable que des entreprises établies dans un EM (ou qui iront exprès s’établir dans les EM aux normes sociales les plus faibles) puissent fournir des services dans d’autres Etats en appliquant le droit de leur pays d’origine (dans lequel elles ont leur siège) et que les Etats d’accueil soient dans l’impossibilité de leur imposer des exigences sociales, sanitaires ou environnementales.

Même problème pour le droit du travail. La directive sur le détachement des travailleurs est toujours formellement reconnue, comme dans la première version. Cependant, alors qu’il est déjà ardu aujourd’hui pour l’Etat de destination de faire respecter son droit du travail aux prestataires établis à l’étranger, la mise à mal des pouvoirs réglementaires des Etats qu’engendrera la directive sur les services rendra ce contrôle encore plus difficile.

En troisième lieu, le compromis qui a été voté au parlement conserve en l’état les articles 14 et 15 sur les « exigences interdites ou soumises à évaluation » dans le chapitre sur la liberté d’établissement des services (lorsqu’un prestataire établit son siège dans un autre EM et exerce son activité dans celui-ci). Ces articles imposent la suppression ou l’évaluation par la Commission d’un tas de réglementations publiques (dont certaines sont reprises dans l’article 16). Le pouvoir de régulation des Etats est donc toujours autant remis en question.

Ainsi, ce « compromis » tant vanté par les partis dominants au parlement européen constitue plutôt un ensemble de concessions faites à la droite et aux intérêts des entreprises. Les mouvements progressistes doivent continuer à exiger le rejet de ce texte ainsi que l’harmonisation sociale par le haut. Il faut garantir les conditions d’exercice des services d’intérêt général (y compris les SIEG) et des normes sociales et fiscales en général. Le résultat inévitable et désastreux d’une compétition entre des pays n’ayant pas les mêmes standards élevés et contraignants ne peut être que la spirale vers le bas des conditions sociales, fiscales, et écologiques.

Sophie Heine

Références
- Amendements de compromis votés par les groupes PPE-DE et PSE : Amendements de compromis
- “ MEP’s adopt watered down services law ”, EU observer.com, 16 février 2006
- Harlem Desir, “Pourquoi la directive reste inacceptable”, site du PS français, Article d’Harlem Desir
- “ Vote de la directive Bolkestein ”, site du député PS français Benoît Hamon, Article de Benoît Hamon
- “ Directive service : les Verts rejettent l’accord PPE-PSE ”, site du député écolo belge Pierre Jonckheer, Article de Pierre Jonckheer
- “ Mauvais compromis ”, site de la députée GUE allemande Sara Wagenknecht, Article de Sara Wagenknecht
- “ Bolkestein : le PS n’est pas satisfait ”, site du PS belge, Article du PS


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