Editorial d’Angles d’Attac
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Manifestations monstres en France contre le contrat précarisation emploi (CPE), grèves en Angleterre contre la réforme des pensions des services publics, mouvements en Allemagne… L’Europe de la rue, celle du peuple, se mobilise contre les décisions antisociales des dirigeants européens.
C’est dans la rue qu’on peut faire changer les choses. C’est là que les alternatives se développent. Soutenons ces actions, car c’est de la solidarité entre simples citoyens, travailleurs, jeunes, plus âgés…, que naîtra une nouvelle société.
Et, pour commencer, arrêtons ce processus de Lisbonne. Sans doute les politiques patronales et gouvernementales suivies seraient similaires sans celui-ci. Mais l’Union européenne leur donne un cadre, celui de devenir l’économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde pour 2010. C’est au nom de cela qu’on détruit les emplois stables, bien payés au profit des postes précaires que le jeunes français redoutent à juste titre. C’est au nom de cela qu’on allonge les carrières. C’est au nom de cela qu’on supprime les services publics au profit de géants privés comme dans les télécoms, le pétrole et la finance, et bientôt dans l’électricité, le gaz et la poste.
En automne dernier, les salariés belges étaient à l’avant-garde des luttes contre les conséquences sociales de ce processus de Lisbonne. Aujourd’hui, ce sont les travailleurs et jeunes en France. Aidons-les à gagner !
Article à paraître dans Angles d’Attac, n°72, avril 2006.
L’avenir de l’Europe est dans la rue
Comment ne pas être impressionné par l’ampleur des manifestations successives contre le CPE (contrat première embauche) en France ? Dès le 7 février, peu avant le vote au parlement, il y a déjà 300.000 personnes mobilisées. L’Université de Rennes vote immédiatement la grève et met des piquets devant l’institution. Elle est rapidement suivie par les étudiants de Toulouse, de Paris, de Nice… Au jeudi 23 mars, 68 universités sur 84 sont « perturbées » par l’action. Même les lycées suivent.
Le samedi 18 mars, une première grande manifestation rassemble près d’un million et demi de personnes dans les rues de quelque 160 villes françaises. Mais ce n’est rien encore face à la démonstration monstre qui s’est déroulée le mardi 28 mars : 2.710.000 manifestants, protestant contre ce projet de précarisation du travail. Un chiffre qui rappelle d’autres événements sociaux, mais vieux de dix, quinze ou vingt ans. 69 universités ont participé activement à la mobilisation et environ un millier de lycées sur un total de 4.300 [1].
Dire que cela ne représente pas l’opinion populaire, que c’est le parlement et les organes qui en dépendent, comme le gouvernement, qui le font dénote un extraordinaire mépris des citoyens et de leurs expressions. Partout en Europe, on souligne l’écart croissant qui sépare les hommes politiques et les gens. « Nul n’ignore qu’il existe un fossé entre l’Union européenne et ses citoyens » , écrit tout dernièrement la Commission européenne dans un accès de lucidité [2].
Or, voilà que des millions de salariés et de jeunes se mobilisent pour exprimer leur point de vue, leur désir de voir retirer ce projet antisocial. Et que leur répond-on ? « Non, c’est moi qui décide ». « Seul le gouvernement est légitime ». « On peut amender, négocier les modalités d’application du texte, mais pas les fondements ou les principes ». De qui se moque-t-on ?
Mais cet autisme caractérisé n’est pas le propre du gouvernement français, comme ne l’est pas non plus son programme antisocial. Ces mécanismes traversent l’ensemble de l’Europe.
A travers le CPE, ce sont la politique européenne de l’emploi et son texte fondamental, le processus de Lisbonne, qui sont en cause. Le contrat premier embauche, qui permet à un chef d’entreprise de licencier durant les deux premières années un jeune engagé sans raison, avec un préavis minimum et une indemnité restreinte, est l’archétype des formes d’emplois flexibles, précaires, préconisées par les responsables de l’Union européenne.
Avec Lisbonne, les contrats temporaires, les temps partiels, les horaires coupés, les formes « atypiques », les postes mal rémunérés se multiplient. Et cela va continuer. Au sommet des 23 et 24 mars 2006, les chefs d’Etat et de gouvernement des 25 pays ont approuvé le texte de la Commission expliquant que les programmes antisociaux nationaux ne vont pas assez loin.
C’est cela l’Europe des multinationales, celle de la Table ronde des industriels européens, celle de l’UNICE, l’organisation patronale européenne, celle des grandes sociétés financières… Elle implique d’axer toutes les politiques socio-économiques autour de deux thèmes : la compétitivité et la rentabilité. C’est pour cela qu’on développe les emplois précaires, qu’on organise la chasse vis-à-vis des chômeurs, qu’on oblige les salariés à allonger leur carrière, qu’on supprime les prépensions, etc. Mais aussi c’est pour cela qu’il y a un tel fossé entre l’Union ou les différents gouvernements nationaux et les citoyens : les premiers exécutent la politique favorable aux multinationales et aux grandes sociétés financières, en espérant que les seconds ne l’apprennent pas ou ne le comprennent pas, voire ne se mobilisent pas contre elle.
Certes, les gouvernements émanent d’élections, c’est-à-dire du choix des urnes, et il n’est pas dans nos intentions de minimiser cet aspect. Néanmoins, les élections sont loin d’être l’acte le plus accompli et le plus abouti de la démocratie. Dans l’isoloir, le citoyen est seul, isolé, facilement influençable, privé de discussions. Les campagnes électorales sont financées par des entreprises ou des entrepreneurs fortunés. Les médias favorisent largement les « stars » de la politique. Et il est possible de promettre beaucoup et de ne jamais réaliser ce qui a été avancé. Sans compter les fraudes qui ne sont pas à exclure.
Une autre forme démocratique est l’action collective, le débat au sein d’assemblées, le vote à main levée dans celles-ci, où chacun peut se voir obligé de justifier ces choix. C’est celle-ci dont sortent les manifestations anti-CPE en France. C’est celle qui a été développée pour pouvoir rejeter le traité constitutionnel, alors que la majorité des partis l’approuvait. C’est celle d’où peut sortir le maximum d’espoirs pour changer cet Europe.
Cette Europe de Lisbonne, du CPE, du traité constitutionnel, des multinationales est inacceptable. Rejetons-la. Aujourd’hui, les Français sont à l’avant-garde de cette lutte pour une Europe radicalement différente, basée sur une autre logique économique, sur des services publics et sur une fiscalité réellement équitable. Comme, en automne dernier, c’étaient les salariés belges qui luttaient contre le plan de limitation du droit à la prépension.
Soutenons-les pleinement, sans restriction. Le retrait du CPE serait une victoire pour tous les salariés européens pour que le processus de Lisbonne, et tout son arsenal antisocial, soit enfin arrêté.
Henri Houben