Cinéma d’ATTAC, en avant-première
Jeudi 18 mai, 21 heures 30
Où ? à l’Arenberg, 26 Galerie de la Reine
En avant-première : Sauf le respect que je vous dois
Un film de Fabienne Godet
Avec :
Dominique BLANC, Marion COTILLARD, Julie DEPARDIEU et Olivier GOURMET
Un film cruellement fidèle à notre époque,
Un thriller social sur le harcèlement au travail
Durée : 90 minutes
Dès 20 heures 30, LE DÉBAT :
« Dépressions, maladies, accidents, suicides professionnels :
Se tuer au travail n’est pas qu’une figure de style... »
avec Matéo ALALUF, professeur de sociologie du travail à l’ULB
Prix d’entrée : 6,2 euros y compris pour le débat (sauf les Article 27)
Cela commence comme un polar.
Sur une route déserte et obscure, une voiture en chasse une autre. Au volant, un homme révolté, possédé par une rage désordonnée. Quelque chose de la vengeance.
Alors que cela aurait pu être une tout autre histoire. Celle d’un type qui avait tout pour être heureux : une femme et un fils charmants ; un boulot intéressant. Mais dans l’entreprise où François travaillait comme commercial, est arrivé « un nettoyeur », un directeur chargé de stresser « la ressource humaine », à force de pressions incessantes et de remarques assassines. C’est dans cette ambiance de contraintes à peine déguisées que François Durieux doit annoncer à sa femme et à son fils qu’il ne peut plus partir en vacances. A cause du travail. Son copain Simon lui n’est pas aussi souple et affronte le patron de face, refusant de faire des heures supplémentaires à n’en plus finir. Mais y a-t-il encore une place, dans l’économie d’aujourd’hui, pour des personnes qui refusent les petites résignations quotidiennes ? Simon s’est révolté le premier. Il sera aussi le premier à craquer : on le retrouve mort, suicidé.
C’est comme un électrochoc : François, plutôt que le respect qu’il doit aux dirigeants de son entreprise, se doit de retrouver d’abord le respect de lui-même. Dans la peau du rebelle, l’acteur Olivier Gourmet accumule de pauvres exploits. Comme toujours, il porte sur ses traits le mutisme du désespoir et, en lui, l’impossible légèreté de l’être dans un monde où chaque individu est d’abord un bien jetable. Aidé, entouré, porté, par trois femmes combattantes –son épouse, une journaliste et une « délinquante »–, il va faire (étape par étape) l’apprentissage douloureux de son impuissance puis de la nécessité de se rebeller.
Réalisé avec une belle fermeté, ce premier film de Fabienne Godet ébranle par sa justesse de ton. Une réussite qui doit beaucoup, aussi, aux autres comédiens. Car outre Gourmet, Dominique Blanc (sa compagne dans le film), Julie Depardieu et Marion Cotillard jouent impeccablement vrai. Bonus : le scénario pose la narration au croisement de la plupart des personnages, autour d’une vérité que l’on ne connaîtra jamais vraiment. D’autant que la réalisatrice n’a pas cherché à donner une résolution juridique à son film dont on devine trop bien ce qu’il est en train de poursuivre. Par contre, dans l’acte radical de Durieux qui va le faire basculer hors la loi, est mise en valeur la limite à laquelle ce cadre à la quarantaine assurée est poussé par la propre inhumanité de ses employeurs. Cette violence que l’on a amené à imploser en lui et qui parvient à le mener à sa propre humanité. Les allusions discrètes de certaines scènes, la turbulence inouïe de certaines autres, l’espèce de cauchemar en spirale dans lequel sombre le personnage principal qui –paradoxalement– s’éveille, rendent ce film émouvant et convaincant.
Au-delà de son contexte social (le harcèlement moral), Sauf le respect que je vous dois est le film d’un sursaut contre l’asservissement volontaire. Contre l’enfermement dans ses propres barrières.
Après Ressources Humaines et l’Emploi du temps de Laurent Cantet ; Attention "Danger travail" de Pierre Carles ou Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout ; J’aime travailler de Francesca Comencini ; Le couperet de Costa Gravas, Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés de Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau…, Sauf le respect participe ainsi à un nouveau genre cinématographique qui, désormais, occupe la place désertée par la littérature ou le journalisme engagés. Une manière, en tous cas, de poser un regard sans concession sur le monde clos de l’entreprise, dans ce qu’elle a de plus cruel à force de défaire ce qu’il y a de meilleur en nous.
En ce sens, Sauf le respect résonne comme un signal d’alarme. Car même s’il arrive par instant que le scénario ne parvienne pas à reprendre son souffle, le spectateur n’a pas le temps de s’en rendre compte tant Gournet fait bien son job d’acteur et transforme la banalité du réel en un film bouleversant.
Autant donc le dire : Sauf le respect que je vous dois est une œuvre irréfutable, avec des personnages aux aguets, tellement proches de nous.
Jean FLINKER