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Angle Attac (mars 2004) / 12-12 : A LIRE : La fabrique de l’opinion publique

La politique économique des médias américains


Il est des livres qui parfois, furtivement, nous éclairent, nous donnent l’impression de mieux comprendre le monde ; des écrits qui parviennent à mettre de l’ordre dans le chaos de nos perceptions tout en balayant la somme des idées reçues qui parasitent notre vision des choses. Des livres subversifs, dangereux aux dires des inquisiteurs de la pensée unique qui abhorrent toute perspective de changement ; des livres qui sont pourtant nécessaires au perfectionnement de l’Homme et que certains ont le courage d’écrire contre vents et marées, à contre-courant d’un intellectualisme miné par les connivences et les flatteries et qui ne sert qu’à divertir l’esprit par des galipettes mentales ou simplement à faire de l’argent. La liste est longue de ces intellectuels qui ont un collier et une laisse accrochés à leur stylo et qui lèchent la main de ceux qui leur tendent un os. La plupart bavent généralement leur mauvaise foi dans les plus prestigieux organes de presse. Mais les auteurs de « la fabrique de l’opinion publique » ne sont pas de ceux-là. Noam Chomsky et Edward S. Herman refusent les courbettes et le revendiquent. Dans ce livre, ils démontent pièce par pièce la machine à propagande américaine en n’épargnant aucun des grands médias U.S. Le New York Times, le Washington Post, Time Magazine ou Newsweek ont beau constituer le fleuron de la presse américaine, ils n’en sont pas moins (je dirais même qu’ils le sont d’autant plus) à la botte des tenants du pouvoir (qu’il soit politique, économique, intellectuel...). Toute l’information est en effet filtrée à travers ce que les auteurs appellent un « modèle de propagande » complexe et orienté vers la perpétuation d’un certain ordre social, économique, politique et culturel. Ainsi, chaque information passe à travers cinq grands « filtres » : d’abord, les propriétaires des médias issus généralement des classes aisées et perpétuant l’idéologie dominante ; puis les publicitaires qui tiennent les médias par le porte-monnaie ; les sources d’information d’origine étatique ou soumises à des lobbies financiers ; puis ce que les auteurs appellent « l’artillerie protestataire » c’est à dire « le tir de barrage qui s’élève à l’unisson pour répondre à une déclaration, un article ou une émission » qui s’écarterait du « modèle de propagande » ; et enfin, l’anticommunisme viscéral des médias américains qui l’utilisent pour décrédibiliser toute tentative de dépassement du capitalisme à la sauce libérale. Voilà pour les grands axes théorique de cet ouvrage. Mais Chomsky et Herman ne s’arrêtent pas là et exposent minutieusement une série abondante d’exemples pris dans l’actualité des années 60-80 : la guerre du Viêt-nam, le Cambodge, les élections au Nicaragua et au Guatemala ou le soi-disant complot contre le pape et l’invention de la « filière bulgare » sont ainsi les archétypes de situations où le Pouvoir détourne la fonction d’information des médias pour « désinformer ». On crée des « évènements » pour détourner l’attention des citoyens , on diabolise les dissidents , on soutient ceux qui obéissent , même s’ils sont de sanglants dictateurs (quitte à les laisser tomber après) : bref, on (dés)informe en fonction des intérêts ; l’éthique , la morale ne sont qu’une couverture. Amère conclusion qui pourtant nous ouvre les yeux sur la réalité du pouvoir.

Noam Chomsky ; Edward S.Herman
La fabrique de l’opinion publique. La politique économique des médias américains - Le serpent à plumes - 24 euros.


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