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Les mythes de l’Union européenne

L’école de la dérégulation

par Henri

L’économie mondiale est dérégulée. Cela provoque des effets « pervers » en matière de pauvreté, d’anarchie, ... Or, il y a l’Europe. Celle-ci pourrait être, de par son histoire, l’instance qui pousse à corriger les excès les plus dramatiques de la mondialisation.

Ainsi, quatre personnalités du parti socialiste français, Pascal Lamy, commissaire européen au Commerce, Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Economie, Henri Nallet, responsable des relations extérieures au PS et l’historien Jean-Noël Jeanneney, en sont persuadés. Ils en font clairement un argument pour justifier les progrès dans la construction européenne actuelle. Ils écrivent : « Certes, les libres échanges, dans tous les secteurs, favorisent l’économie sur le long terme. Mais la « main invisible » (1) du marché ne suffit pas pour créer le meilleur des mondes, bien loin de là. (...) La mondialisation doit être abordée par la gauche, sous cet éclairage, comme un motif pressant de construire l’Europe. Car un objectif primordial de notre XXIème siècle est d’éviter décidément ce règne sans contrepoids de l’économie de marché pesant sur une grande diversité de pouvoirs nationaux et jouant de leur division pour imposer un modèle social et culturel qui n’est pas le nôtre » (2).

Il est intéressant de reprendre cette position point par point.

Article paru dans Angles d’Attac, n°27, septembre 2001, p.3-4.


Les mythes de l’Union européenne

L’école de la dérégulation

L’économie mondiale est dérégulée. Cela provoque des effets « pervers » en matière de pauvreté, d’anarchie, ... Or, il y a l’Europe. Celle-ci pourrait être, de par son histoire, l’instance qui pousse à corriger les excès les plus dramatiques de la mondialisation.

Ainsi, quatre personnalités du parti socialiste français, Pascal Lamy, commissaire européen au Commerce, Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l’Economie, Henri Nallet, responsable des relations extérieures au PS et l’historien Jean-Noël Jeanneney, en sont persuadés. Ils en font clairement un argument pour justifier les progrès dans la construction européenne actuelle. Ils écrivent : « Certes, les libres échanges, dans tous les secteurs, favorisent l’économie sur le long terme. Mais la « main invisible » (1) du marché ne suffit pas pour créer le meilleur des mondes, bien loin de là. (...) La mondialisation doit être abordée par la gauche, sous cet éclairage, comme un motif pressant de construire l’Europe. Car un objectif primordial de notre XXIème siècle est d’éviter décidément ce règne sans contrepoids de l’économie de marché pesant sur une grande diversité de pouvoirs nationaux et jouant de leur division pour imposer un modèle social et culturel qui n’est pas le nôtre » (2).

Il est intéressant de reprendre cette position point par point.

A qui profite la mondialisation actuelle ?

Elle commence par une profession de foi : le libre marché accroît la prospérité sur le long terme. Mais de quoi parle-t-on exactement ?

Le libre marché, est-ce l’économie mondiale actuelle ? Dans ce cas, soulignons que la liberté tant vantée est aux mains des multinationales. Car des statistiques dont on dispose (essentiellement basée sur les firmes américaines, japonaises et suédoises), on estime qu’un tiers du commerce mondial est composé d’échanges intrafirmes, c’est-à-dire de la vente de composants par une filiale d’une multinationale située dans un pays à une autre filiale située dans un autre pays (3). Pour les Etats-Unis, le commerce international effectué par les multinationales (intrafirmes et autre) s’élève à 75% de l’ensemble des échanges américains en ce qui concerne les exportations et à 60% pour les importations (4).

De libre, le marché n’a que le nom. Il s’appelle bien plus capitaliste qu’autre chose, puisqu’il est au service de ceux qui détiennent les capitaux, à savoir les grandes firmes de l’industrie, du commerce et de la finance, souvent liée entre elles d’ailleurs.

Et s’il apporte bien-être matériel, il faut s’interroger : pour qui ? Dans ce monde, une minorité voit sa richesse et ses avoirs grimper. Ainsi, de 1995 à 1999, les 200 personnes les plus riches de la planète ont vu leur fortune croître de quelque 500 milliards de dollars à plus de 1.000 milliards (5).

A l’opposé, selon les données de la Banque mondiale, 2,8 milliards d’individus, soit presque la moitié de la population mondiale, vit avec un revenu de moins de deux dollars par jour. Et la situation est particulièrement dramatique pour l’Afrique, la majeure partie de l’Amérique latine et l’Asie du Sud (les pays qui forment la péninsule indienne). Ainsi, Susan George écrit : « actuellement, avec les revenus de ses exportations, l’Afrique peut acheter seulement 40% de ce qu’elle pouvait se procurer en 1980 sur les marchés étrangers » (6).

Une question d’excès

Pour notre bande des quatre, le problème n’est pas la mondialisation actuelle en soi. Ce sont les excès qu’elle engendre et qu’il faut corriger par la régulation. Ainsi, si la moitié de la planète a du mal à survivre, c’est un excès. Si l’Afrique s’enfonce dans la misère la plus profonde, c’est un excès. Si les pauvres se multiplient aux Etats-Unis et en Europe, c’est un excès.

En réalité, dans ce monde fondé sur la concurrence à outrance, il y a ceux qui réussissent et ceux qui demeurent sur le bas côté de la route. Mais, sur dix personnes, une seule au maximum s’en sortira et c’est généralement celle qui vient d’une famille aisée (ou même très aisée). Les Solvay, les Boël, les Frère, les Ford, les Peugeot... Que deviennent les neuf autres ?

Ceux qui veulent « corriger les excès » de ce système ne se préoccupent que de celle qui est la plus mal lotie. Mais, de la sorte, on crée une société en sablier selon l’expression d’Alain Lipietz, ancien économiste de l’école de la régulation et futur candidat des Verts français aux présidentielles de 2002. Le sablier est conçu « pour désigner la polarisation des revenus entre une minorité de riches, qui gagnent beaucoup, et une majorité de pauvres, qui gagnent peu, tandis que fond la part des classes moyennes » (7).

Ainsi, dans la société en sablier, celui qui se trouve en haut s’enrichit, les autres s’appauvrissent. Et les responsables politiques donnent une aumône à celui qui est tout en bas pour éviter qu’il ne crève littéralement. Mais ce n’est nullement un excès. C’est la logique même d’un système construit pour servir les grandes entreprises.

Les partisans d’un tel système argumente que c’est par l’accès aux marchés boursiers que les simples gens peuvent en profiter aussi. Mais, ce marché est un des plus inégalitaires. Aux Etats-Unis, en 1995, le pour-cent le plus riche possédait 71,4% du total des actifs d’entreprises détenus par des ménages (8). « 90% des gains en capital sont engrangés par 5% seulement des ménages », précise Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas (9).

Une régulation européenne en forme de démantèlement social

Pour la bande des quatre, il faut une instance qui permettrait cette régulation. Or, celle-ci n’existe pas réellement. Et les Etats-Unis sont plus libéraux que jamais. D’où la nécessité de la construction européenne pour impulser des mesures au niveau planétaire. Mais ceci est absurde.

L’Union européenne s’ingénie pour déréglementer à l’intérieur de ses frontières. Elle étend le marché « libre ». Elle pousse à la libéralisation des secteurs, traditionnellement contrôlés par les pouvoirs publics, comme les télécoms, le transport, la poste et l’énergie. Elle mène de plus en plus une politique sociale à l’américaine. Elle veut développer et favoriser les marchés financiers. C’est donc exactement le contraire d’une régulation sociale pour protéger les salariés et les simples gens.

Et les conséquences sociales sont au rendez-vous. La pauvreté a augmenté pratiquement partout en Europe. La précarité aussi. De 1991 à 1999, 2,5 millions d’emplois ont été créés au total en net (créations moins suppressions). Mais, dans ce total, 6,5 millions d’emplois à temps partiel sont apparus, alors que 4 millions de postes à temps plein ont été éliminés (10).

De même, au niveau international, c’est l’Union européenne qui pousse à l’ouverture des frontières partout dans le monde. C’est elle, et en particulier son commissaire au Commerce, Pascal Lamy, qui tient à avoir le plus vite possible une négociation large à l’Organisation mondiale du Commerce. C’est elle qui prône que l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI), contre lequel une mobilisation populaire s’est levée en 1998, soit intégré dans les règles de l’OMC. Rappelons que l’AMI doit ouvrir complètement les pays aux investissements des multinationales.

Comment croire que ceux qui sont responsables de la déréglementation en Europe et dans le monde peuvent subitement devenir les apôtres de la régulation ?

Pascal Lamy avoue ouvertement que son objectif est d’oeuvrer en faveur des firmes européennes : « En tant que commissaire européen au Commerce, ma mission consiste à identifier les secteurs dans lesquels l’Europe est la plus compétitive, et de négocier pour eux un meilleur accès au marché, dans le but de promouvoir la diffusion de nos propres normes et technologies » (11). Ainsi, la régulation, s’il y en a une, qu’il défend est celle qui sert les grandes entreprises européennes. Pas celle qui protège les simples citoyens.

Dans ces conditions, la justification de l’Union européenne par la régulation est pure mystification. Vis-à-vis de la population européenne, on essaie d’accréditer l’idée d’un modèle social européen, que nous avons critiqué par ailleurs (12). Vis-à-vis de l’étranger, il s’agit de promouvoir l’Europe dans le monde, d’attirer ainsi les pays du tiers-monde et de les détacher de l’influence américaine.

Houben Henri

(1) La « main invisible » indique une « régulation » qui se fait automatiquement par le marché. Cela fait référence à l’expression utilisée par Adam Smith, le père de l’économie moderne. (2) Le Monde, 19 juin 2001. (3) UNCTAD, World Investment Report 1994 : Transnational Corporations, Employment and the Workplace, United Nations, New York, 1994, p.143 et 144. (4) Calculé à partir de Raymond Mataloni, US Multinational Companies. Operations in 1998, Survey of Current Business, juillet 2000 et de William Zeile, US Affiliates of Foreign Companies. Operations in 1998, août 2000. (5) Forbes, The Billionaires, 5 juillet 1999. Un dollar vaut un peu moins de 45 francs belges. (6) Susan George, Le rapport de Lugano, Fayard, Paris, 2000, p.173. (7) Alain Lipietz, La société en sablier, éditions La Découverte, Paris, 1998, p.12. (8) Isabelle Halary, « Les promesses non tenues de la globalisation financière », in Appel des économistes pour sortir de la pensée unique, Les pièges de la finance mondiale, éditions Syros/Alternatives économiques, Paris, 2000, p.97. (9) L’Expansion, 29 mars au 11 avril 2001, p.70. (10) Calculé sur base de Commission européenne, L’emploi en 2000. (11) Pascal Lamy, « Que devrait et pourrait être la contribution des politiques publiques à la création d’un environnement qui stimulerait l’innovation, la compétitivité et la croissance ? », European Business Summit, Bruxelles, le 10 juin 2000. (12) Henri Houben, « les mythes de l ‘Union européenne : Quel modèle social européen ? », Angles d’ATTAC, août 2001, p.5-7.


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