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Après Nice, Bruxelles

par Henri

Le spectacle de chef d’Etat qui se battent comme des chiffonniers pour quelques voix supplémentaires à Nice pourrait faire oublier que de plus en plus tout se décide au niveau de l’Europe. Rappelons que lors de la rencontre entre les responsables politiques de l’Europe et l’UNICE, la confédération patronale européenne, celle-ci expliquait : « Dans les pays européens, 60% des nouvelles lois sont instaurées au niveau de l’Union européenne, 70% de ces mesures (réglementations, directives, décisions et recommandations) affectent le monde économique ». Dès lors, la question de l’Europe reste un enjeu important, à la fois pour les dirigeants et pour les simples citoyens.

Article paru dans Angles d’Attac, n°20, janvier 2001, p.3.


Après Nice, Bruxelles

Le spectacle de chef d’Etat qui se battent comme des chiffonniers pour quelques voix supplémentaires à Nice pourrait faire oublier que de plus en plus tout se décide au niveau de l’Europe. Rappelons que lors de la rencontre entre les responsables politiques de l’Europe et l’UNICE, la confédération patronale européenne, celle-ci expliquait : « Dans les pays européens, 60% des nouvelles lois sont instaurées au niveau de l’Union européenne, 70% de ces mesures (réglementations, directives, décisions et recommandations) affectent le monde économique » (1). Dès lors, la question de l’Europe reste un enjeu important, à la fois pour les dirigeants et pour les simples citoyens.

Le sommet européen de Nice a été l’objet de confrontations entre les différents pays : l’Allemagne a laissé la présidence française s’embourber dans les négociations ; la France n’a pas apprécié le renforcement de l’Allemagne ; les petits pays, Belgique en tête, ont contesté la suprématie des grands, qui se sont arrogé davantage de pouvoir. Au lieu de montrer l’image unie d’une construction politique nécessaire pour représenter les intérêts des patrons européens au niveau international, les chefs d’Etat ont affiché leurs divergences et leurs luttes d’influence.
Les critiques ne se sont pas fait attendre. L’European Policy Centre (EPC), dont les idées sont relativement proches de la Table ronde des industriels européens (2), a immédiatement produit des communiqués montrant son insatisfaction. Les titres de ces documents sont évocateurs : « L’Union européenne après Nice : un pas en avant, deux pas en arrière ? » (3), « Nice : le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? » (4). Les seules décisions qui trouvent grâce aux yeux de ces milieux patronaux sont l’élargissement aux douze pays candidats et la coopération renforcée, qui permet à huit Etats au moins d’avancer plus vite dans la construction européenne (5), sans être soumis au veto d’un autre pays.

C’est dans ce cadre que les responsables européens vont devoir continuer. La prochaine conférence intergouvernementale est fixée pour 2004. A ce moment, l’Europe sera au pied du mur : elle devra faire face concrètement à l’entrée des nouveaux candidats. Certains espèrent que cela va obliger les chefs d’Etat à agir d’une façon plus communautaire. Cela leur laisse le temps de préparer les esprits.

Mais, pour nous aussi, cela donne du temps et de la perspective. La construction européenne est dominée par l’impulsion que lui donnent les principaux groupes patronaux, la Table ronde et l’UNICE entre autres. C’est pour cela qu’elle est et ne peut être qu’opposée aux intérêts des simples citoyens, salariés, chômeurs, pensionnés, ... Elle est et ne peut être que contraire aux principes démocratiques les plus élémentaires. Le sommet de Nice en a été la preuve. Les décisions sont des marchandages entre chefs d’Etat et technocrates, loin de la population. Et les manifestants ne reçoivent aucune facilité pour protester, pour se rencontrer et débattre. Ce sont les matraques, au contraire, qui les attendent. La construction européenne actuelle est un danger pour la paix et la solidarité des populations en Europe et dans le monde. C’est pour cela qu’elle doit être combattue (6).

Pour le montrer, on peut fixer rendez-vous à Gand, en octobre, et à Bruxelles, en décembre prochain. Car, à partir du 1er juillet jusqu’au 31 décembre 2001, la Belgique aura la présidence du Conseil européen. Certes, le sommet de Bruxelles n’aura pas la même importance que celui de Nice. Il n’y aura pas de traité. Mais d’importantes mesures préparatoires se décideront. Il annoncera également la mise en route de l’euro. Ce sera indiscutablement un moment où il sera possible de dénoncer cette Europe.

C’est d’autant plus important que Bruxelles a été désignée comme le lieu régulier des prochains sommets, à partir de 2002. C’est une concession du sommet de Nice accordée à la Belgique, pour qu’elle accepte moins de pouvoirs.

(1) European Business summit, présentation : Présentation EBS (2) Groupe rassemblant 48 patrons des plus grandes multinationales européennes, il est le lobby patronal le plus influent sur les autorités européennes. L’EPC est un groupe de réflexion rassemblant des patrons, des responsables politiques comme Pascal Lamy, des universitaires et des journalistes. (3) John Palmer, « The European Union After Nice - One Step Forward, Two Steps Back ? », EPC Communications, 11 décembre 2000 : Le site d’ EPC (4) « Nice : Is the glass half-full or half empty ? », EPC, 18 décembre 2000 : Le site d’ EPC (5) Mais les questions de défense ne peuvent faire l’objet de cette solution. (6) Pour plus de détails, voir Henri Houben, L’enjeu majeur du sommet européen de Nice : voir article dans cette rubrique.

Les principales décisions du sommet de Nice

Le sommet de Nice s’est traduit par la conclusion d’un traité. Celui-ci doit encore être approuvé par le parlement européen, probablement dans le courant de 2001, et par les différents parlements nationaux, sans doute en 2002. Les décisions ne seront donc pas d’application avant cette date. Mais quelles sont les principales mesures adoptées (1) ?

1. L’intégration des douze candidats (Pologne, Roumanie, Tchéquie, Hongrie, Bulgarie, Slovaquie, Lituanie, Lettonie, Slovénie, Estonie, Chypre et Malte) dans l’Union européenne est acceptée, pour autant que ceux-ci respectent les conditions émises par l’Union. Elle prendra effet au plus tôt le 1er janvier 2005.

2. La pondération des voix sera changée au sein des Conseils. A partir du 1er janvier 2005, les grands pays (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne) auront 29 voix et cela s’échelonnera jusqu’à 3 voix pour Malte. Si tous les pays candidats sont alors acceptés, le total des points s’élèvera à 345. Il faudra 258 voix pour qu’une décision prise à la majorité qualifiée soit adoptée. Soit 74,8%. La minorité de blocage est de 87 voix, soit le vote de trois grands pays.

3. Un Etat pourra, en outre, demander, lors d’une décision prise à la majorité qualifiée, que l’on compte les populations des pays qui ont voté favorablement et si le total de ces habitants ne représentent pas au moins 62% de la population globale de l’Union, la décision sera rejetée. Cela favorise l’Allemagne, car elle représente plus de 17% des quelque 480 millions d’Européens (à 27). Suivant cette règle, trois grands pays, si l’Allemagne est comprise, peuvent bloquer une décision.

4. Le nombre de parlementaires européens change. Dès le 1er janvier 2004, ils sont réduits pour la plupart des pays, sauf pour l’Allemagne qui en garde 99. Ceci a une importance, car les prochaines élections ont lieu en juin 2004. Ensuite, au 1er janvier 2005, les nouveaux candidats reçoivent des sièges. Le total formera 732 membres, si tous les pays candidats sont acceptés.

5. La Commission sera limitée, à partir de 2005, à un commissaire par pays et 27 au maximum.

6. Le pouvoir du président de la Commission est renforcé. Il peut révoquer ses commissaires ou changer les responsabilités de chacun.

7. Une série de nouvelles matières peuvent être décidées à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité. C’est le cas pour les négociations sur les services et la propriété intellectuelle, sauf dans le domaine des services sociaux, de la santé humaine, de la culture et de l’audiovisuel ainsi que de l’éducation. Mais la politique fiscale, la Sécurité sociale, la politique de défense, celle sur l’immigration échappent à cette règle, au grand dam des groupes patronaux qui aimeraient voir l’Union européenne conduire les affaires en ces matières aussi.

8. Huit Etats peuvent se lancer dans la coopération renforcée, c’est-à-dire mettre en oeuvre une politique d’intégration plus avancée, sans être soumis au veto d’un autre pays, si les autres Etats membres peuvent adhérer à cette initiative, quand ils le veulent. La politique militaire est exclue de cette disposition.

9. La charte sociale est proclamée, mais elle n’a pas de statut jusqu’à présent. La simplification des différents traités est remise à plus tard.

10. A partir de 2002, la moitié des réunions annuelles du Conseil européen et au minimum une par an se tiendront à Bruxelles. Dès que l’Union comptera 18 membres, toutes les réunions se dérouleront à Bruxelles.

11. Un débat « large » sera lancé sur l’avenir de l’Europe. Les sommets de Göteborg en juin et de Laeken (Bruxelles) en décembre 2001 devront adopter une résolution en ce sens et fixant la procédure.

12. La prochaine conférence intergouvernementale, pouvant décider des modifications institutionnelles, aura lieu en 2004.

(1) Le texte peut être consulté sur
le site de l’ Union européenne
Il est particulièrement illisible. La partie la plus intéressante est l’annexe 1 : Protocole sur l’élargissement de l’Union européenne.

Libéralisme ou régulation ?

L’Europe serait trop néo-libérale. Voilà son problème majeure, disent certains. Et, pour contrecarrer cette tendance, il faudrait davantage de régulation. Il faudrait une autre Europe, celle de la loi et non celle du marché. C’est ainsi qu’est posé le débat par certains.

Mais cela nous semble réducteur, simplificateur, voire même mystificateur.

Premièrement, l’opposition entre loi et marché ne tient pas la route. Tout est, en fait, régulation. De plus, pour que les règles de la libre concurrence fonctionnent, il faut une décision de l’Etat. Dans les instances internationales qui prônent l’ouverture des frontières aux marchandises et aux capitaux, comme le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC (Organisation mondiale du commerce), ce sont des Etats qui prennent les mesures. A commencer par les Etats des pays riches (Etats-Unis, Europe, Japon). Il n’y a donc pas de contradictions.

Deuxièmement, la régulation par l’Etat demeure et elle est importante. Sur le plan économique, c’est l’Etat qui continue à fixer le cadre dans lequel le marché agit. C’est la Commission européenne qui veut favoriser la société de l’Internet. A l’OMC, ce sont des Etats qui font appliquer les règles. Et, quand il y a une menace de crise, par exemple actuellement aux Etats-Unis, tous les investisseurs attendent du président de la Réserve fédérale (la banque centrale américaine), Alan Greenspan, qu’il intervienne.

Dans les matières « politiques », l’Etat renforce même son autorité. En Belgique, il a lancé une vaste réforme de la police, en réalité pour tout intégrer dans une sorte de gendarmerie élargie.

Troisièmement, la loi n’est pas nécessairement bonne. Bien au contraire. Le renforcement de la police n’est pas une mesure à l’avantage des citoyens. Il va entraîner un contrôle accru sur la population et va justifier les interventions musclées contre les manifestants, notamment ceux qui protestent contre la globalisation actuelle. Et que dire des mesures discriminatoires contre les immigrants, les sans papier, etc. ? Que dire de cette disposition qui permet à un patron de demander des astreintes à des grévistes, qui revendiquent justement une amélioration de leurs conditions de vie et de travail ?

Quatrièmement, la régulation est l’image de marque que l’Europe veut se donner pour conquérir une place dominante sur la planète. L’Amérique serait libérale, et donc en faveur d’un « capitalisme sauvage ». L’Europe, elle, serait plus sociale, donc partisane d’un « capitalisme plus humain ». Ainsi, Verhofstadt, lorsqu’il définit ce que devrait être l’avenir de l’Europe, déclare : « au sein de quelle Europe souhaitons-nous vivre ? D’après moi, au sein d’une Europe fondée sur les valeurs européennes de démocratie, de respect des droits de l’homme, d’Etat de droit et de la diversité culturelle et politique qui constitue notre richesse. Bref une Europe qui demeure attachée aux valeurs héritées de la Révolution française ». Et cet ancien admirateur de Margaret Thatcher précise : « nous devons croire que les valeurs que nous chérissons, plus particulièrement la démocratie, les droits de l’homme, l’Etat de droit, la solidarité interhumaine, sont des valeurs pouvant valoir pour le monde entier. En d’autres termes, nous voulons une Europe capable, tant en matière morale qu’en matière économique, de prendre la direction et d’imprimer une orientation, et ce aux côtés des autres grandes puissances démocratiques du monde » (1).

Ce à quoi Hubert Védrine, le ministre français des Affaires étrangères, réplique à juste titre : « Je n’adopte pas sans réserve l’idéologie française (2) du droit d’ingérence. D’abord parce qu’elle ressemble vraiment trop au devoir de civilisation des colonisateurs français du XIXème siècle (...). D’autre part, parce que je considère que l’émotion paroxysmique des téléspectateurs occidentaux bombardés d’images choquantes, imbus de leur puissance et sûrs de leur bon droit, intimant à leurs gouvernements l’ordre de faire cesser leurs souffrances de téléspectateurs en intervenant partout comme pompiers du monde (3) ne constitue pas un critère suffisant pour légitimer en droit international une ingérence et fonder un système plus satisfaisant. Et aussi parce que je ne vois que trop bien comment l’OTAN, voire l’Europe de la défense en formation, pourraient être tentés d’utiliser ce concept » (4).

Dès lors, défendre l’Europe des valeurs sociales, de la régulation peut servir de caution à des interventions à caractère « impérialiste ». Verhofstadt parle d’envoyer des forces dans les Balkans, voire en Afrique. Le récent texte sur la politique de défense européenne adopté à Nice suggère même d’agir au Moyen-Orient (5).

Pour nous, l’opposition ne réside pas dans le slogan « régulation contre marché », mais de savoir au service de qui cette régulation est menée : pour les sociétés financières, les multinationales, les responsables économiques et politiques ou pour les simples gens, les travailleurs, chômeurs, pensionnés ?

Et, finalement, on doit se demander pour quels intérêts la construction européenne est conduite actuellement. C’est cela qui devrait la base de notre jugement.

(1) Guy Verhofstadt, « Une vision de l’Europe », discours prononcé devant le European Policy Centre, Bruxelles, le 21 septembre 2000. Ce texte est considéré comme un article de référence pour la construction européenne pour l’European Policy Centre. Le site d’ EPC (2) Il aurait pu dire aussi européen. (3) Il faudrait surtout voir qui manipule ces images et dans quel but. (4) Hubert Védrine, Refonder la politique étrangère française, Le Monde diplomatique, décembre 2000, p.3. Le discours de Védrine est, néanmoins, ambigu, car il a été un des artisans de l’intervention « humanitaire » de l’OTAN en Yougoslavie. (5) « Améliorer la cohérence et l’efficacité de l’action de l’Union européenne dans le domaine de la prévention des conflits », Rapport présenté au Conseil européen de Nice par le secrétaire général/Haut représentant et la Commission, 8 décembre 2000.


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