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Analyse de la Communication de la Commission européenne sur la flexicurité

Le nouvel emploi n’est pas celui que vous croyez

Le plein emploi serait-il à nouveau possible ? A écouter les discours de certains responsables politiques et des instances européennes, la réponse est positive. C’est l’objet entre autres de la stratégie européenne pour l’emploi, mise en place depuis 1997, du nouveau livre vert sur la modernisation du droit du travail et, depuis fin juin 2007, de la Communication de la Commission à ce sujet [1].


Seulement il y a méprise sur le terme emploi. Pour la majorité des gens, emploi signifie un contrat temps plein à durée indéterminée. Selon les experts influents au niveau européen, en revenir à un tel système pour toutes et tous serait impossible.

Le nouveau concept en vogue est celui de « flexicurité ». C’est un néologisme composé de deux notions associées : la flexibilité et la sécurité. Selon les normes du marché mondial actuel, les entreprises exigeraient la flexibilité de leurs salariés, c’est-à-dire pouvoir adapter en permanence les effectifs aux aléas de la demande, ainsi que les compétences des salariés. Mais, pour que cela soit négociable socialement, il faudrait ajouter une dose de sécurité pour les travailleurs, soit un matelas de protection sociale qui permettrait aux employés éjectés de la firme de pouvoir raisonnablement espérer un nouvel emploi.

Ainsi, dans le principe de la flexicurité, tout le monde serait gagnant. C’est à voir. En effet, cette description quelque peu idyllique masque, en réalité, des transformations plus profondes.

Pour la quasi-totalité des salariés, cela signifierait la fin d’un emploi stable ou de la possibilité d’une carrière réalisée dans une même entreprise. Le modèle préconisé par la Commission européenne est d’ailleurs celui du Danemark, où un tiers des travailleurs environ changent de poste chaque année. Une augmentation de la flexibilité comme prônée par la Commission conduirait au type de carrière suivant : le salarié commencerait par un emploi temporaire, passerait un moment au chômage où il lui serait proposé de suivre une formation de façon à obtenir un autre contrat temporaire. Ensuite, il pourrait prendre un congé sabbatique ou travailler à mi-temps. Puis, repasser par une période de chômage et ainsi de suite.

C’est déjà ce qui se passe en partie aujourd’hui. Mais généralement sous la pression d’une protection sociale amoindrie. De ce fait, certains pensent que le nouveau concept de flexicurité cache une nouvelle manière de faire accepter la flexibilité, en essayant d’éviter les résistances qu’il peut y avoir dans les mouvements sociaux ou dans les administrations nationales censées appliquer les mesures décidées au niveau européen.

Notre propos sera plus large. Même s’il y avait un complément de protection sociale assurant une certaine sécurité d’existence – au Danemark, ceci signifie qu’un salarié qui perd son emploi reçoit 90% de son ancien salaire (mais il y a un plafond) durant quatre ans -, l’introduction de la flexicurité aurait des effets dommageables pour les travailleurs et les citoyens.

D’abord, le cadre dans lequel cette orientation prend place est celui du processus de Lisbonne, décision prise lors du sommet européen de mars 2000. Et celui-ci conçoit la politique de l’emploi dans le carcan de la compétitivité [2]. L’indicateur central établi par les autorités européennes est celui du taux d’emploi qui doit augmenter à 70% de la population active (contre 65% environ aujourd’hui). De nouveau, on pourrait croire à une volonté sincère d’éradiquer le chômage.

En fait, comme il suffit de travailler une heure par semaine pour être considéré comme un travailleur actif, cela justifie toutes les formes de contrat « atypique » : temps partiel, temporaire, horaires coupés... Avec la politique d’activation des chômeurs qui les pousse à accepter un peu n’importe quel emploi, cela aboutit surtout à augmenter les postulants par poste et, de la sorte, à accroître l’offre de travail [3].

Or, une hausse de l’offre de travail a pour effet de déprécier le prix du travail, puisqu’il y a davantage de candidats par emploi. Cela signifie concrètement une baisse du salaire. Ce qui est hautement souhaité par les chefs d’entreprise. Ce n’est pas pour rien que l’exigence principale de la direction de Volkswagen pour continuer une production sur le site de Forest est l’abaissement des « coûts » du travail de 20%. Seulement, ce dont il est question ici, constitue le revenu de la majorité de la population.

La politique européenne de l’emploi a aussi des conséquences sur les coûts des licenciements. Le livre vert sur la modernisation du droit du travail est révélateur à cet égard. Il préconise ni plus ni moins la suppression de toute charge pour l’entreprise en cas de rupture de contrat. Auparavant, la firme qui ne voulait pas renouveler son personnel utilisait des formes de travail temporaire. Avec cette nouvelle orientation, elle serait libre de se séparer des travailleurs indésirables comme elle le souhaite. Finies les indemnités, jugées généreuses [4], reçues par les ouvriers de VW Forest. On ressusciterait aussi le fameux CPE, contrat de première embauche, permettant de licencier un jeune engagé depuis moins de deux ans, sans justification. Un projet de loi contre lequel la France s’était mobilisée.

C’est d’ailleurs pour prévenir de telles résistances que le concept de flexicurité est avancé. En principe, le travailleur remercié serait pris en charge pour qu’il puisse retrouver un autre emploi. Ainsi, lors de la restructuration à VW Forest, le gouvernement a mis directement en place une cellule d’emploi pour le reclassement des ouvriers licenciés, la SNCB s’est déclarée prête à engager des anciens de l’usine... De la sorte, du combat collectif pour défendre une usine, une entreprise, et les postes qu’elle génère, on passerait subtilement aux multiples tentatives individuelles de chaque salarié menacé de retrouver un emploi ailleurs, avec l’appui des autorités compétentes.

De ce fait, avec la flexicurité, la politique des entreprises n’est plus mise en cause. Elles peuvent engager et licencier comme bon leur semble. Comme l’avance Günther Verheugen, vice-président de la Commission européenne responsable de l’Entreprise et de l’Industrie : « Les décisions de fermeture ou de délocalisation des entreprises leur appartiennent et aucun Etat, ni l’Union européenne ne peut ni ne doit intervenir dans l’affaire »  [5]. C’est un chèque en blanc accordé au patronat pour qu’il agisse à sa guise.

Enfin, dernier élément à souligner : cette politique aura comme conséquence de favoriser l’individualisation des salariés dans leur carrière ou leur « trajectoire », au détriment de leur force collective. Or, c’est sur cette dernière que repose l’action syndicale. C’est donc un affaiblissement de celle-ci qu’impliquent les orientations actuelles en matière d’emploi.

Même si la CES (confédération européenne des syndicats qui rassemble l’essentiel des fédérations sur le continent) est présente dans les négociations sur la flexicurité, même si les syndicats nationaux sont conviés à la table des négociations, à terme c’est leur précarisation, voire leur disparition, qui est programmé. Ce n’est pas le moindre des enjeux des nouvelles politiques de l’emploi. D’où une opposition tout à fait justifiée dans les milieux syndicaux à ce concept de flexicurité.

Lors de la récente conférence sur la flexicurité, John Monks, secrétaire général de la CES, s’en est fait l’écho, même si lui-même reste un partisan de la négociation à ce sujet : « Du point de vue de la CES, nous sommes préoccupés par la manière dont le débat évolue. Souvent le message livré aux travailleurs est le suivant : abandonnez la protection sur votre poste, en échange vous aurez la sécurité pour un emploi (futur). En fait, l’une chose est précise : la perte de son poste ; l’autre est hypothétique » . Il ajoute : « Faciliter les licenciements conduit à une flexibilité et à une vulnérabilité excessive »  [6].

C’est bien l’objet de notre démarche. Même en supposant que les gouvernements et la Commission européenne élèvent le niveau de protection sociale, évitant que celui qui perd son job se retrouve à la rue, l’ensemble des mesures va conduire à une fragilisation des systèmes sociaux et à une dégradation des conditions de travail. Ce que nous ne pouvons accepter.

Le groupe Europe [7]

Article publié dans Angles d’Attac, n°84, août 2007.

Notes

[1Commission européenne, « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle », livre vert, Bruxelles, 20 novembre 2006, et Commission européenne, « Vers des principes communs de flexicurité : Des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité », Communication de la Commission au Conseil, au parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des région, Bruxelles, le 27 juin 2007, La Communication de la Commission.

[2Les organisations syndicales soulignent que le processus de Lisbonne définit trois axes centraux à égalité de priorité : la compétitivité, la cohésion sociale et le développement durable. En réalité, il n’en est rien. La compétitivité est privilégiée dès le départ. Voir sur ce point : Xavier Dupret, Henri Houben et Erik Rydberg, Capital contre travail, éditions Couleur livres, Bruxelles, 2007.

[3En fait, il faudrait dire l’offre de force de travail. Car ce n’est pas du travail que présente le salarié sur ce marché, mais sa disposition à travailler.

[4Généreuses comme indemnités, par rapport à d’autres cas de licenciements.

[5Günter Verheugen, « La compétitivité – la réponse à la restructuration et la concurrence », Débat au parlement européen sur la restructuration de l’industrie de l’Union européenne, Bruxelles, 4 juillet 2006, La déclaration de Verheugen.

[6John Monks, « Flexicurity », Discours présenté à la Conférence des parties intéressées sur la flexicurité, Bruxelles 20 avril 2007, Le discours de Monks.

[7Pour cet article, le groupe Europe a reçu l’aide de Christine Pagnoulle, présidente d’Attac Liège, de Pierre Galand, ex-sénateur, d’Olivier Hubert, chercheur au GRAP à l’ULB et d’Yves Martens, du Collectif Solidarité Contre l’Exclusion.


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