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Peut-être songez-vous partir tranquillement en pension, après une carrière dure et bien remplie ? Peut-être pensez-vous enfin profiter un peu de la vie ? Eh bien, préparez-vous à des réveils douloureux !
Les principaux groupes patronaux, que ce soit l’UNICE, la confédération patronale européenne, ou la Table ronde des industriels européens (ERT), ce club sélect d’une cinquantaine de présidents de multinationales, en ont décidé autrement. En collaboration avec les commissaires européens, ils vous ont concocté un petit programme de « dynamisme économique », qui va dynamiter vos aspirations aux loisirs bien mérités.
Article paru dans Angles d’Attac, n°35, mai 2002, p.4-5.
Peut-être songez-vous partir tranquillement en pension, après une carrière dure et bien remplie ? Peut-être pensez-vous enfin profiter un peu de la vie ? Eh bien, préparez-vous à des réveils douloureux !
Les principaux groupes patronaux, que ce soit l’UNICE, la confédération patronale européenne, ou la Table ronde des industriels européens (ERT), ce club sélect d’une cinquantaine de présidents de multinationales, en ont décidé autrement. En collaboration avec les commissaires européens, ils vous ont concocté un petit programme de « dynamisme économique », qui va dynamiter vos aspirations aux loisirs bien mérités.
D’abord, ils vont vous faire travailler plus longtemps : l’âge de la pension va être fixé à 65 ans pour tout le monde ; les dérogations (comme la prépension) vont être progressivement supprimées. Ensuite, le régime de pension publique, qui vous assure un montant fixe de retraite, va être petit à petit remplacé par un système de fonds de pension privés, qui vous donneront une allocation de plus en plus liée à la performance des valeurs boursières, c’est-à-dire très aléatoire.
Quels arguments utilisent-ils pour ces changements ?
Primo, la population vieillit. Selon Eurostat, les plus de 64 ans passeraient de 26,7% de la population active en 2000 à 35,1% en 2020 et 43,8% en 2030. En fait, cette annonce devrait être une bonne chose. Cela veut dire qu’on vit plus longtemps, que le bien-être matériel augmente de façon générale, que les progrès de la médecine sont notoires. Même si on sait par ailleurs que ces avantages sont très inégalement répartis. Mais, de ce fait qu’on devrait trouver positif, les organisations patronales européennes en font une menace. En fait, elles disent ouvertement : « les vieux sont une charge pour la société ». Au lieu d’affirmer : « ils sont un atout ».
Pour résoudre ce soi-disant problème, il n’y a pas de secret. Pour financer davantage les retraites, il faudra prélever globalement une partie plus grande sur la production réalisée. Mais n’est-ce pas un des buts de la hausse de la productivité ? De nouveau, c’est ce que ne veulent pas les groupes patronaux : ils veulent conserver pour eux, pour les entreprises, les gains de productivité. De sorte à pouvoir battre les concurrents américains et asiatiques. Le bien-être des gens est sacrifié au service de la lutte pour la compétitivité. Voilà l’Europe qu’on nous construit !
Secundo, l’UNICE et l’ERT avancent que le système public coûte trop cher pour les firmes et que cela va déraper à l’avenir avec une population qui vieillit. Ils en font même l’argument principal. L’UNICE écrit dans son récent rapport sur les pensions : « La compétitivité des entreprises européennes, la croissance et l’emploi sont en péril si les entreprises et les travailleurs doivent faire face à ces coûts de travail croissants résultant de l’augmentation de la facture des retraites » (1). Evidemment, l’emploi et les travailleurs ont bon dos dans cette justification. Ce que craint le représentant officiel du patronat européen, c’est la baisse de rentabilité des firmes et donc la rémunération des principaux actionnaires. De là ces cris d’orfraie en faveur d’un régime privé, qui coûterait moins.
Mais, quand on y réfléchit, cet argument est absurde. Car, si le problème est la hausse des non-actifs, il faudra prélever davantage sur la production, que le régime soit public ou privé. Un simple calcul le montre. S’il y a 180 millions d’actifs et que le rapport des retraités est de 27%, ils sont donc 48,6 millions. S’ils reçoivent en moyenne une pension de 12.500 euros (500.000 francs belges environ), cela fait une somme de 607,5 milliards d’euros. Si les personnes âgées passent à 35% en 2020, pour une population active inchangée, elles seront à ce moment 63 millions. Cela signifie que, pour un montant de retraite non modifié, elles recevront 787,5 milliards d’euros. Soit 180 milliards de plus.
Dans ces conditions, il y a trois possibilités : 1. la production fournit 180 milliards d’euros supplémentaires, dégagés par les hausses de productivité ; 2. les pensions individuelles diminuent, par exemple à 9.600 euros (pour rester à un somme globale de 607,5 milliards d’euros environ) ; 3. la population active augmente et, pour payer la différence, elle devrait passer à environ 233 millions. Les deux dernières solutions paraissent peu réalistes, et certainement pas à cette ampleur. Il reste donc la première : il va falloir prélever davantage sur la production, que le système des pensions soit privé ou public.
Car il y a une double illusion dans l’argumentation de l’UNICE : si le régime est public, il y a une charge sociale à payer par les entreprises. Mais si le système est privé, aussi. Cela ne s’appellera plus charge ou cotisation sociale, mais il faudra bien le prendre des revenus issus de la production.
Le second mythe est que l’utilisation de fonds privés investissant à la Bourse va dégager plus de revenus et donc sera moins coûteux. Mais, de nouveau, il s’agit d’une illusion. Car les gains obtenus sur les marchés financiers ne sont jamais que le reflet de ceux réalisés dans la production. Il se peut qu’à un moment donné, ils soient supérieurs. Mais cela dure rarement très longtemps. Si c’est le cas, il y a, à un moment donné, chute des valeurs boursières, car le cours des actions s’adapte aux profits attendus de la firme et ceux-ci sont généralement calculés sur base des bénéfices actuels.
En réalité, le véritable fond du problème est que les organisations patronales veulent s’accaparer l’épargne populaire pour l’utiliser comme capital pour leurs entreprises, en particulier pour les firmes plus petites, celles présentes dans les secteurs des nouvelles technologies.
La Commission européenne, qui partage entièrement les vues de l’UNICE et de l’ERT, l’explicite très clairement. Dans un rapport faisant suite au sommet de Lisbonne (mars 2000), dans le but d’appliquer les décisions prises à cette occasion, elle écrit : « En tant que source de capitaux à long terme facilement disponible, les fonds de pension (...) peuvent aider à accroître les flux de capitaux en direction d’investissements privés. Cela stimulera la création d’emplois en abaissant les coûts de main-d’oeuvre non salariaux et allégera la charge croissante, due à l’évolution démographique, que représente le financement des prestations de retraite. Les actifs des fonds de pension pourraient passer d’environ 2.000 milliards d’euros (soit la moitié des dépôts bancaires totaux dans l’Union européenne) à 3.000 milliards d’euros à la fin de l’année 2005 » (2). Autrement dit, l’objectif n’est pas de résoudre les problèmes démographiques, mais ceux autrement plus importants selon les responsables politiques européens d’assurer des fonds pour les firmes privées et de maintenir la compétitivité de l’Europe. Et ces montants peuvent être énormes, comme en témoignent les chiffres cités.
C’est pour cela, pour satisfaire cette faim de capital, que les salariés devront travailler plus longtemps. L’UNICE l’appelle de ses voeux. Elle écrit : « il est clairement nécessaire d’élever encore l’âge de la retraite dans plusieurs pays. Il est urgent de s’attaquer aux situations où l’âge légal de la retraite est inférieur à 65 ans » (3). Et, pour ceux qui songent à la prépension : « Il est clairement nécessaire de prendre plus de mesures pour décourager la sortie précoce du marché du travail. Il est urgent de régler les situations où la préretraite demeure possible avant 60 ans. Ceci est essentiel pour augmenter l’âge effectif de la retraite » (4). Et les chefs d’Etat ont obéi à ces injonctions patronales, puisque à Barcelone, en mars 2002, ils ont décidé d’élever cet âge effectif de la prise de pension de cinq ans pour 2010 (5). On voit de quel côté penche la Commission et les gouvernements européens. Où est la démocratie, quand ce sont des groupes patronaux qui fixent les orientations ?
Mais, ce n’est pas tout. Les pensions publiques seront probablement réduites. Parce que, sinon, les salariés ne seront pas incités à cotiser pour des fonds privés. Ainsi, on fait une distinction entre trois piliers : le premier est le régime public ; le second est celui des cotisations et des prestations des fonds liés aux entreprises dans lesquelles les salariés travaillent ; le troisième est le régime libre où chaque individu peut cotiser où il veut, dans des fonds privés, et recevoir les prestations en conséquence. C’est celui-ci que l’UNICE veut propager. C’est pourquoi elle insiste : « Pour développer les régimes du troisième pilier, il importe de maintenir à un niveau supportable les cotisations des salariés aux premier et deuxième pilier, afin de faire de la place pour les cotisations personnelles aux régimes de retraite individuelle » (6). Autrement dit, réduire les pensions publiques pour favoriser les fonds privés ! C’est ni plus ni moins que la privatisation de la sécurité sociale !
Autre impact : les prestations vont devenir très aléatoires, car elles dépendront des performances du fonds de pension. Il y a déjà quelques cas malheureux où les salariés ont perdu toutes leurs économies dans ce jeu. Il en est ainsi de ceux d’Enron, la grande société énergétique en faillite, dont la retraite était gérée par le fonds de pension de la firme. Celui-ci avait investi presque 60% de ces actifs dans la société même. Très bien quand, en août 2000, l’action atteignait 90 dollars. Mais, fin décembre 2001, elle ne valait plus que 30 cents. Non seulement ces travailleurs ont perdu leur emploi, mais en outre ils ont ruiné leur retraite, avec ce système.
Certains pourront dire que c’est un exemple américain. Mais rappelons le cas de Maxwell, ce magnat de la presse britannique et européenne, qui avait engagé les avoirs des fonds de pension dans les pertes de ces compagnies. C’était frauduleux. Mais les salariés ont perdu leur argent dans l’affaire.
Les fonds de pension privés sont une revendication que les organisations patronales comme l’UNICE imposent littéralement à l’ensemble de la communauté européenne. Il n’y a qu’elles qui peuvent en tirer profit, par le capital que cela apporte aux firmes des nouvelles technologies. Et l’on voit bien sur ce point à quel point la Commission est totalement inféodée à l’ERT ou à l’UNICE.
Henri Houben
(1) UNICE, « Document stratégique sur la viabilité des retraites », novembre 2001, p.28. (2) Commission des communautés européennes, « Services financiers : évolution et progrès réalisés », deuxième rapport, 31 mai 2000, p.5-6. (3) UNICE, op. cit., p.19. (4) UNICE, op. cit., p.20. (5) Conseil européen de Barcelone, « Conclusions de la présidence », 15-16 mars 2002, p.12, point 32. (6) UNICE, op. cit., p.27.