Convention, politique d’immigration et d’asile, accords UE-US
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Le mois de juin aura été chaud sur le plan de l’actualité européenne, et sans entrer dans les détails trois événements notamment méritent d’être soulignés et reflètent pleinement les limites et contradictions des décideurs européens, aux dépens des droits et libertés des citoyens : la Convention sur le Futur de l’Europe, les politiques communes d’immigration et d’asile, les accords UE-US en matière d’extradition et de coopération judiciaire.
Article paru dans l’Angles d’Attac No47, juillet/août 2003
Le mois de juin aura été chaud sur le plan de l’actualité européenne, et sans entrer dans les détails trois événements notamment méritent d’être soulignés et reflètent pleinement les limites et contradictions des décideurs européens, aux dépens des droits et libertés des citoyens.
La Convention sur le Futur de l’Europe tout d’abord, s’est achevée sur les chapeaux de roues et un consensus au forcing a été arraché à ses membres pour permettre à son président, le très charismatique Valéry Giscard d’Estaing, de présenter un projet de Traité constitutionnel pour l’Union au Sommet européen de Thessalonique des 19 et 20 juin [1]. Angles d’Attac avait déjà évoqué tant les lacunes démocratiques du processus lui-même que les limites en terme de contenu, et notamment la claire prééminence de la dimension économique sur la dimension sociale (AA n°44, avril 2003, p.4-5). Le texte final, s’il sauve les apparences n’en demeure pas moins fort problématique et le milieu social reste fort inquiet : il a fallu 8 mois de lutte pour que le nouveau texte conserve le concept de développement durable, et le texte ne prévoit toujours pas une véritable coordination entre les politiques économique, sociale et d’emploi afin de donner à ces deux dernières le même poids que les priorités économiques.
En termes d’amélioration du fonctionnement démocratique, on est loin là aussi d’un résultat probant : quoique l’on pense du Parlement européen dans la pratique, il faut reconnaître qu’il s’agit de la seule institution élue directement par les citoyens européens, et c’est toujours celle qui a le moins de pouvoir ! Et comme par hasard, c’est justement dans des domaines tels que l’agriculture, les politiques fiscales et les politiques sociales qu’il reste écarté du processus de décision, sans parler de la politique extérieure de sécurité et de défense ! Certes, le Président de la Commission devra maintenant être approuvé par le Parlement, mais cela reste essentiellement formel et symbolique ; quant au nouveau Président du Conseil, il reste désigné à la discrétion des Etats membres, et ce pour une période de deux ans et demi.
Enfin, dernière et sans doute la plus grave des lacunes : malgré de nombreuses demandes et une forte pression en ce sens, le nouveau texte ne prévoit pas l’accès à la Court de Justice de Luxembourg pour les particuliers et leurs organisations [2]. En clair, bien que les droits des citoyen soient en théorie garantis par cette nouvelle Constitution, puisque la Charte des droits fondamentaux y a été intégrée ce qui la rend obligatoire et contraignante, en cas de violation de l’un des droits qui vous ait garanti par la Charte, vous n’avez pas de recours au niveau européen ! Et il est fort à craindre que le texte ne sera pas amélioré par les Etats eux-mêmes durant la Conférence Intergouvernementale qui se tiendra d’octobre 2003 à avril 2004 pour aboutir à une signature en mai, ce d’autant plus lorsque parallèlement ils prennent des orientations ou engagements violant ouvertement ces mêmes droits !
Pour illustrer cette schizophrénie permanente des décideurs européens entre beaux discours et pratiques, après s’être auto-congratulés de cette “étape historique”, ils se sont ensuite dédiés à faire le contraire de l‘un des objectifs de l’UE, à savoir la défense et la promotion des droits de l’homme, en balisant les étapes d’une politique d’immigration et d’asile restrictive visant à éloigner le plus possible les “indésirables” du territoire européen :
L’accent a été mis à Thessalonique sur la fermeture des frontières et la négociation rapide d’accords de réadmission entre l’UE et les pays tiers afin de faciliter et formaliser le renvoi des immigrants indésirables dans leur pays d’origine ou de transit. L’Espagne avait même évoqué il y a un an la possibilité de sanctionner les états qui ne montreraient pas suffisamment de bonne volonté aux yeux de l’UE en la matière ! Si ces propositions n’ont pas été -officiellement en tout cas- reprises, en revanche le Conseil demande à la Commission d’assurer un suivi rapide de ces politiques de réadmission et des relations avec les pays tiers qui ne coopèrent pas suffisamment avec l’UE dans la lutte contre l’immigration clandestine. Les ONG de défense des droits de l’homme, qui se battent depuis des années pour un début d’application de la clause démocratique [3] et pour une prise en compte de la situation des droits de l’homme dans les pays tiers avec lesquels l’UE entretient des relations économiques, politiques et/ou militaires, seraient ravies d’autant de sollicitude de la part du Conseil !!
Sur le plan de la politique d’asile, là encore les Etats membres s’évertuent à remettre en cause la protection assurée aux réfugiés et demandeurs d’asile par les traités internationaux en se cachant derrière l’harmonisation européenne : si l’idée d’harmoniser le droit d’asile peut être en soit louable afin de faciliter les démarches des demandeurs et leur assurer un niveau de protection équivalent sur tout le territoire européen, cela a été détourné par les Etats membres en un instrument de nivellement par le bas des normes et critères d’octroi de l’asile ainsi que des droits des réfugiés :
L’accent est mis sur l’accélération des procédures au mépris d’une réelle écoute des situations personnelles dans les conditions minimales nécessaires (traduction, interprètes, etc.). Le but est également de purement et simplement empêcher l’accès au territoire européen aux demandeurs, au profit de centres d’accueil fermés à la périphérie de l’UE. Dans cette lignée les propositions britanniques en février dernier de créer des zones de protection régionales dans les pays d’origine même des demandeurs ainsi que des “Sangatte” géants gérés par l’ONU sur base d’un raisonnement “coûts-efficacité” [4] douteux, ont certes été rejetées, mais là encore ont poussé à d’énormes concessions en la matière de la part du Haut Commissariat aux Réfugiés lui-même. A croire que la stratégie de l’UE est de régulièrement présenter des positions extrêmes via l’un ou l’autre de ses membres pour ensuite donner l’impression de sauver la situation tout en faisant déjà un pas vers ces mêmes positions !
Enfin, dernier événement d’une importance majeure et pourtant passé quasiment inaperçu dans les médias, la signature, lors du Sommet UE-USA du 25 juin dernier de deux accords UE-US en matière d’extradition et coopération judiciaire. Angle d’Attac avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur le contenu de ces accords (voir AA n°43, mars 2003, p.10-11) dont les négociations et contenu ont été maintenus secrets jusqu’au 6 mai dernier. Certes, des “fuites” avaient eu lieu et suite à la pression grandissante d’ONG et de parlementaires, les accords ont finalement été rendus publics... un mois avant leur adoption définitive. En terme de contenu, le pire a bien eu lieu et ces accords représentent un net recul et une violation flagrante des droits fondamentaux acquis en Europe depuis 50 ans. L’un des accords permettra en effet l’extradition de toute personne, citoyen européen ou non, vers les Etats-Unis, même s’il y risque la peine de mort. Les Etats européens peuvent s’ils le souhaitent poser comme condition que la peine capitale ne devrait pas être appliquée... De même, aucune garantie n’est exigée en terme de non soumission à des traitements cruels inhumains ou dégradants ou à des actes de torture, ni en terme de droit à un procès équitable. Or la Charte des droits fondamentaux prévoit qu’une personne ne peut être extradée vers un pays ou elle risque de subir la peine de mort ou des actes de torture, et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est très claire là-dessus, ayant prononcé plusieurs condamnations sur cette base à l’encontre essentiellement de ... la Grande-Bretagne, comme par hasard. Quant au deuxième accord sur la coopération judiciaire, il reprend toutes les lacunes de l’accord Europol-US déjà critiqué dans notre article précédent :
Large champ d’application allant de l’échange d’information bancaire à l’établissement d’équipes conjointes d’investigation et incluant l’échange d’information pour des autorités administratives, avec tous les risques d’arbitraire et d’absence de contrôle que cela sous-tend
Tout type de délit peut faire l’objet de demandes d’information de la part des USA, que ce soit dans le cadre d’une investigation pénale, de “menaces à la sécurité publique” ou de procédures judiciaires et administratives non pénales, et la marge de manœuvre de refus pour les Etats membres est fort limitée
les équipes conjointes d’investigations seront [5] “auto-régulées”, leur composition, fonctionnement et objectifs ne sont pas définis et aucun système de contrôle judiciaire de leurs actes n’est prévu.
les demandes de surveillances des télécommunications où de perquisitions de domiciles ou bureaux pourront être faites par simple fax ou e-mail, sauf si l’un des Etats demande une confirmation formelle
Enfin, aucune garantie valable n’est donnée en matière de protection des données : les Etats européens n’ont qu’une marge de manœuvre très étroite pour tenter de limiter l’utilisation ou les échanges d’informations communiquées aux USA, et dans la pratique ils ne peuvent invoquer l’absence de législation américaine adéquate en la matière pour refuser un transfert d’information. De plus, aucun droit d’accès à et de correction des données personnelles n’est prévu pour les individus, ce qui est une violation flagrante des droits reconnus aux citoyens européens tant par la Convention européenne des droits de l’homme (art.8) que par la Charte des droits fondamentaux et la Directive européenne relative à la protection des données. Parallèlement aucune condition n’est établie pour l’accès à ces données personnelles par des organes ou services de l’état ou privés, ouvrant la porte à toutes les dérives.
L’hypocrisie des Etats membres est donc flagrante, car ils pourront à nouveau se disculper derrière les “contraintes de l’UE” pour violer sans états d’âmes les droits fondamentaux des personnes se trouvant sous leur juridiction. Or, que cela soit bien clair, les Etats, nos gouvernements donc, restent les premiers et seuls responsables des décisions prises à Bruxelles et donc de la protection de leur citoyens : ces deux accords doivent encore être ratifiés, ce qui implique l’accord explicite des Etats membres, et pour certains des procédures constitutionnelles de ratification avec consultation de leurs parlements. A suivre...
Laëtitia S.
[1] dans la pratique en fait la Convention se réunit encore pour régler ce qu’il est convenu d’appeler "les derniers détails techniques" du texte
[2] plus précisément, les conditions d’accès pour les particuliers sont tellement strictes qu’elles rendent cet accès quasiment impossible dans la pratique
[3] de nombreux accords bilatéraux entre l’UE et les pays tiers contiennent un article stipulant que l’accord se base sur les principes démocratiques et le respect des droits de l’homme, qui constituent l’un des fondements de l’accord. En théorie, lorsque l’un des Etats parties viole cet article, l’autre partie peut envisager des sanctions et suspendre tout ou partie de l’accord. Dans la pratique, ce n’est qu’exceptionnellement et dans des cas de violations massives des droits de l’homme, de préférence dans un pays ne représentant qu’un intérêt économique ou géostratégique de moyenne importance, que l’UE s’es décidée à prendre des mesures en ce sens
[4] Au nom du fait que le “coût” d’un réfugié était dix ou 20 fois plus élevé dans l’UE que dans un camp de l’ONU, la Grande-Bretagne a proposé qu’il vaudrait mieux dédier l’argent européen (enfin, une partie) à soutenir le travail de l’ONU, qui pourrait donc accueillir beaucoup plus de réfugiés pour le même prix dans ces centres de protection ou de transit hors de l’Europe !
[5] la formulation laisse d’ailleurs entendre que ces équipes conjointes sont déjà en fonctionnement de manière ad-hoc