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“Old Europe” ou Nouvel Empire ?

Dans tous les cas : la puissance militaire au service des marchés...

par Laetitia

Bataille de résolutions au Conseil de Sécurité de l’ONU entre la France et les Etats-Unis. La Belgique bloquant la marche à la guerre au Conseil de l’OTAN... L’Europe, dernier rempart sur la scène internationale face à l’unilatéralisme impérial américain ? Pourtant, rien ne serait plus faux que de réduire la situation à une opposition entre la “Vieille Europe” unie et le nouvel Empire américain. Car le véritable “axe du mal” qui entraîne aujourd’hui le monde vers la guerre trouve pied sur les deux continents : Bush - Blair - Aznar - Berlusconi mènent le même combat dans une nouvelle “Sainte-Alliance” contre le terrorisme, dont l’Irak est désigné comme la prochaine victime

Article Paru dans Angles d’Attac No 43, Mars 2003


Bataille de résolutions au Conseil de Sécurité de l’ONU entre la France et les Etats-Unis. La Belgique bloquant la marche à la guerre au Conseil de l’OTAN... L’Europe, dernier rempart sur la scène internationale face à l’unilatéralisme impérial américain ? Pourtant, rien ne serait plus faux que de réduire la situation à une opposition entre la “Vieille Europe” unie et le nouvel Empire américain. Car le véritable “axe du mal” qui entraîne aujourd’hui le monde vers la guerre trouve pied sur les deux continents : Bush - Blair - Aznar - Berlusconi mènent le même combat dans une nouvelle “Sainte-Alliance” contre le terrorisme, dont l’Irak est désigné comme la prochaine victime.

Face à eux, la France [1] (et dans une moindre mesure et à des niveaux différents l’Allemagne et la Belgique), pourra-t-elle longtemps tenir seule le front du refus diplomatique à la guerre ? La réplique des Etats-Unis a été sèche, rappelant à l’ordre les états européens membres de l’OTAN, tel un seigneur féodal appelle à lui ses vassaux : la déclaration du “groupe de Vilnius” [2] a montré ce qu’il en était de la voix de la majorité des gouvernements européens...
La crise est désormais ouverte au sein du processus de construction européenne, à la grande joie des Etats-Unis, qui ne demandaient sans doute pas mieux que de pouvoir ainsi faire d’une pierre deux coups.

D’aucuns y trouvent la preuve de l’urgence d’une politique étrangère strictement européenne, dotée d’un bras armé (futur embryon d’une armée européenne à venir). Un discours relayé par la Belgique, y compris parfois au sein du mouvement anti-guerre. Il est cependant paradoxal que le thème de la construction d’une “défense européenne” y soit repris, alors que les événements récents (Bosnie, Rwanda, République Démocratique du Congo, Kosovo, Côte d’Ivoire,...) ont démontré l’impossibilité jusqu’à présent de construire un outil militaire qui soit autre chose que le moyen de garantir, en Afrique et ailleurs, les intérêts européens dans les pré-carrés respectifs des anciennes métropoles coloniales [3].

L’antagonisme actuel entre les Etats-Unis et l’Europe [4] traduit avant tout une nouvelle étape dans l’exacerbation des concurrences entre blocs économiques mondiaux. “Aujourd’hui, le militarisme et la guerre permanente sont devenus les composantes essentielles d’une mondialisation libérale que les Etats-Unis, quitte à en violer allègrement certains dogmes, entendent reconfigurer à leur seul bénéfice : ainsi, le bellicisme de l’équipe Bush renvoie tout à la fois au contrôle des gisements stratégiques d’hydrocarbures et à la volonté de réaffirmer l’hégémonie de Washington dans la gestion des affaires du monde, notamment par l’élargissement de l’OTAN en Europe et la mise en place d’une Zone de Libre-Echange des Amériques (ZLEA, ALCA en espagnol et portugais)” [5].

Bien sûr, l’intégration des capitaux transatlantiques entre les Etats-Unis et une partie de l’Union Européenne s’est accentuée tout au long des dernières décennies, et constitue un des traits distinctifs de la “mondialisation”, rendant par la même tout conflit direct entre eux improbable. Mais il n’en reste pas moins que les points d’achoppement se multiplient. Si les Etats-Unis se trouvent au centre de la mondialisation du capital financier, ils sont également au cœur de ses contradictions. Le programme de “guerre sans limite” lancé par l’Administration Bush vient au moment où l’économie américaine est atteinte de plein fouet par la récession [6].

Il n’y a d’ailleurs pas, dans le chef de la France, de remise en cause fondamentale de la rhétorique avancée par les Etats-Unis pour justifier la marche à la guerre : “L’objectif numéro un, c’est la lutte contre le terrorisme” dit le Premier Ministre français [7]. Et l’Union Européenne peut dès lors déclarer à l’unanimité que “(...) les inspections ne pourront se poursuivre indéfiniment en l’absence d’une coopération totale de la part de l’Irak [et que] le régime irakien sera le seul responsable des conséquences s’il continue à se jouer de ce que veut la communauté internationale”.

En fait, dans le nouveau “grand jeu” de la globalisation mondiale, la France tente de jouer sa propre carte. L’internationalisation croissante de ses grandes entreprises et la défense de leurs intérêts [8] l’y poussent, avant toute vocation humaniste. L’Union Européenne pourrait lui servir à réaffirmer sa présence sur le marché mondial, voire à y conquérir de nouvelles positions concurrentielles, tout en gardant un contact avec les zones émergentes (Inde, Afrique du Sud, Brésil, Chine).

Ceci explique pourquoi c’est seulement de la formidable démonstration de force des peuples, descendus en masse dans les rues le 15 février, qu’est venu le message le plus déterminé de résistance à la guerre. “Non à la guerre !” : c’est le cri qui a retenti partout à travers le monde, prenant de court les véritables fauteurs de guerre. Le 15 février a constitué un désaveu politique cinglant pour les Aznar [9], Berlusconi, Blair et Cie, qui sont aujourd’hui face à une perte de légitimité sans précédent.

Ce succès n’a été possible que par la réalisation d’une unité autour de revendications claires, permettant de mobiliser et sensibiliser au-delà des différentes sensibilités traditionnelles du mouvement anti-guerre. Dans la bataille médiatique, le mouvement a désormais réussi à conquérir une légitimité assez forte auprès des opinions publiques pour s’opposer aux discours dominants. Rien n’est cependant acquis et, au-delà de l’Irak, Washington a annoncé que sa “guerre contre le terrorisme” (avec son programme d’interventions militaires qui l’accompagne) durerait plusieurs décennies... Il est donc impératif d’œuvrer au renforcement de ce mouvement anti-guerre sur la longue durée. A chaque citoyen de prendre ses responsabilités, pour élargir encore cette mobilisation : contre la guerre, c’est la voix des peuples qu’il faut continuer à faire entendre !

Borhane MICHIELS

Notes

[1Cf. Immanuel WALLERSTEIN, “France is the Key”, Fernand Braudel Center - Commentary n°106, 01/02/2003 http://fbc.binghampton.edu/commtr.htm

[2Déclaration de 10 pays européens apportant leur soutien aux USA, dont les pays d’Europe centre-orientale, candidats à l’adhésion à l’Union Européenne mais pour la plupart déjà inclus dans l’orbite de l’OTAN

[3Cf. Eric REMACLE, “Défense européenne : entre ‘New Frontier’ et Sainte-Alliance” in Le nouveau modèle européen, Bruxelles, 2000, t. II, pp. 195-205

[4Paul-Marie DE LA GORCE, “Le dessein politique et stratégique des Etats-Unis” in Les Etats-Unis s’en vont-ils en guerre ?, Bruxelles, GRIP, 2000, pp. 17-32

[5Déclaration du Conseil d’Administration d’ATTAC-France, Paris, 11 janvier 2003

[6Cf. Claude SERFATI, “Militarisme et impérialisme : l’actualité du vingt-et-unième siècle” in Mondialisation et impérialisme, Paris, 2003, pp. 28-31

[7Déclaration de Jean-Louis RAFFARIN, Paris, 18/02/2003 www.premier-ministre.gouv.fr

[8La liste est longue et non-exhaustive : Total-Elf dans le pétrole, Péchiney dans l’aluminium, Aventis dans le pharmaceutique, Air-Liquide dans le gaz liquifié, Michelin dans les pneumatiques, Bouygues dans les travaux publics, PSA et Renault dans l’automobile, Dassault et Lagardère dans les armements, BNP-Paribas, Société Générale, AXA, AGF dans la bancassurance, sans oublier les inévitables Vivendi (ex-Lyonnaise des eaux) et Suez...

[9Près de 6 millions d’espagnols dans les rues au travers de plus 50 manifestations. Pour un panorama complet des actions menées dans le monde le 15/02/2003 www.indymedia.be


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