A propos du livre « Le temps des turbulences » d’Alan Greenspan
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Il n’est pas très loin le temps où la plupart des économistes saluaient le pragmatisme et la lucidité d’Alan Greenspan. Notamment, en 2001, le président de la Banque centrale américaine (la Federal Reserve ou FED) avait plusieurs fois abaissé les taux d’intérêt directeurs, apaisant ainsi les Bourses mondiales. Aujourd’hui encore, certains louent sa rapidité d’intervention, la comparant avec la lenteur et le caractère borné de son homologue européen uniquement préoccupé par la lutte contre l’inflation.
Mais qui est Alan Greenspan ? Qui est celui qui a tenu durant plus de dix-huit les rênes d’une des institutions les plus importantes et les influentes du monde ?
Plus conservateur, tu meurs !
A la lecture de son ouvrage volumineux en partie autobiographique (plus de 640 pages), on peut répondre sans ambiguïté : c’est un conservateur libéral, proche des idées de Milton Friedman, cet économiste ultra-libéral qui a animé la fameuse école de Chicago. Certes, il n’est pas un extrémiste religieux nationaliste comme l’administration Bush en compte des centaines. Mais quand même il défend ouvertement la supériorité du système américain de libre-échange.
On trouve ainsi, dès les premières pages du livre, une affirmation que n’aurait pas reniée Francis Fukuyama, l’auteur de « La Fin de l’histoire » : « Pour le capitalisme de marché, le moment déterminant a cependant été la chute du mur de Berlin en 1989 : elle a dévoilé l’état de ruine économique qui existait de l’autre côté du rideau de fer, bien pis que ce qu’estimaient les meilleurs économistes occidentaux. La planification centrale s’est révélée être un échec irrémédiable et, face à la désillusion croissante suscitée par les politiques économiques interventionnistes des démocraties occidentales, le capitalisme de marché a commencé à supplanter lesdites politiques un peu partout dans le monde. La planification centrale n’était plus objet de débat et n’a pas eu droit à un éloge funèbre. En dehors de Cuba et de la Corée du Nord et d’une poignée d’autres bastions communistes, elle a été abandonnée partout dans le monde » [1].
Il ne faut pas chercher dans l’ouvrage de preuves irréfutables de l’échec à la fois des expériences soviétiques et des pays de l’Est, d’une part, et de toute planification, d’autre part. Il n’y en a pas. Il ne faut pas épiloguer : l’effondrement suffit à toutes les argumentations. Pourtant, rappelons quand même qu’au niveau économique les performances productives de l’URSS et de ses alliés étaient supérieures à celles de l’Occident jusqu’au début des années 70. Il n’y a donc pas si longtemps que cela.
Mais rien ne paraît ébranler l’optimisme libéral d’Alan Greenspan. C’est un long panégyrique en faveur du capitalisme pur et dur. Ainsi, il écrit : « La beauté d’un système de marché est que, quand il fonctionne bien, comme c’est le cas la plupart du temps, il tend à créer ses propres équilibres » . Il ajoute même : « quand une économie de marché dérape périodiquement sur un chemin apparemment stable, les forces du marché interviennent pour la redresser » (p.435). C’est beau comme une théorie de concurrence pure et parfaite !
Il oublie seulement qu’au cours de l’histoire, ces fameuses forces régulatrices s’intitulaient intervention de l’Etat, luttes sociales ou même guerres. Alors de fait, le capitalisme y a survécu.
De Nixon à Bush Jr.
Comme l’ouvrage est en partie autobiographique, on peut retracer l’évolution de cet homme qui a tenu la présidence de la Banque centrale américaine. Il est né en 1926 dans une famille relativement aisée, mais n’appartenant certainement pas aux plus riches de la nation.
Ses premiers pas et amours, Alan Greenspan les avance dans un domaine qu’on ne devinerait pas a priori : le jazz. Il fait même partie d’un orchestre. Il finit, néanmoins, par terminer ses études universitaires en économie. Il doit réaliser une thèse doctorale. Sa spécialité est l’étude de la situation d’un secteur à partir de données chiffrées qu’il recherche à une époque où les statistiques sont beaucoup plus pauvres qu’aujourd’hui. Comme il le note lui-même : « Tout mon travail avait été empirique, fondé sur mes chiffres, jamais guidé par des valeurs. J’étais un technicien de talent, rien de plus » (p.76).
Mais, justement, en fonction de cela, il est engagé par la société de conseils aux entreprises Townsend en 1953. Il n’écrira jamais de thèse.
Méfiance quand même vis-à-vis de ces gens sans véritable idéologie, de ces experts soi-disant « neutres ». En contact avec les entreprises, il entre au conseil d’administration de plusieurs d’entre elles, quinze au cours de sa carrière. Et parmi les plus grandes : Mobil (qui sera fusionnée avec Exxon), Alcoa, le géant mondial de l’aluminium, JP Morgan (aujourd’hui MorganChase) ou Searle, la firme pharmaceutique qui fut dirigée en son temps par Donald Rumsfeld.
En 1968, il choisit clairement son camp. Il fait partie de l’équipe visant à soutenir la candidature de Richard Nixon, le Républicain, contre le vice-président démocrate sortant, Hubert Humphrey [2]. Celui-ci est défait. Mais Greenspan refuse toute participation dans le gouvernement Nixon. Il trouve celui-ci intelligent, brillant même – une estime qu’il n’accordera qu’à un seul autre président, Bill Clinton -, mais ordurier. Lors d’une séance apparemment anodine, le futur président va engueuler un de ses collaborateurs par des injures lamentables.
Mais il manque d’économistes. Aussi en 1974, les Républicains reviennent à la charge pour proposer le poste de conseiller économique en chef de la Maison Blanche. Heureusement, avoue Greenspan, Nixon doit démissionner à cause de l’affaire du Watergate le jour où il prend officiellement ses fonctions. Il restera le temps de la présidence de Gerald Ford, soit début 1977.
Un mauvais film de série B
Devenu un pilier du programme économique du parti républicain, il se retrouve de nouveau dans l’équipe de Ronald Reagan dès 1980, avec notamment Milton Friedman. On sait que l’ancien comédien de film de série B est alimenté par des fonds venant des milieux ultraconservateurs, voire même d’extrême droite, et soutenu par les fondamentalistes chrétiens.
Mais, de ce fait, il n’en sera nullement question dans l’ouvrage. Au contraire, nous avons droit à cette anecdote. Le directeur de la campagne, Martin Anderson, demande à Greenspan de briefer Reagan en économie, puisque celui-ci est plus un amateur de bons mots et de slogans que de connaissances véritables. Ce qu’il tente lors d’un voyage en avion de cinq heures. Seulement, le futur président n’arrête pas de plaisanter. Greenspan n’arrive pas à placer son argumentation. Il n’a jamais pu s’expliquer durant tout le trajet et Reagan s’est contenté de convaincre les électeurs à partir de sa maigre expertise.
Pourtant, le candidat plaît. Greenspan écrit en effet : « Ce qui m’attirait chez lui, c’était son conservatisme sans ambiguïtés » (p.120). Ce caractère réactionnaire et nationalisme n’est pas pour le rebuter : « Sous Reagan, les Américains, qui croyaient jusque-là appartenir à une ancienne grande puissance, ont retrouvé confiance en eux » (p.121). Et on était parti pour combattre l’axe du Mal, à savoir le communisme, pour se lancer dans la guerre des étoiles ou pour supprimer les droits sociaux pour nombre de salariés. Voilà les bases de cette nouvelle puissance !
« Vous m’avez mal compris »
Greenspan n’entrera pas dans le gouvernement, ni dans l’administration. Néanmoins, en 1987, lorsque Paul Volcker, un démocrate, décide de renoncer à la présidence de la Federal Reserve, Reagan fait appel à lui.
Sa première mission sera d’apprendre le langage FED. Il s’agit en effet de présenter les données en possession de la Banque centrale dans un langage codé, de telle sorte que les acteurs des marchés financiers ne puissent en découvrir la teneur. La Federal Reserve est une banque composée de douze antennes dans tout le pays, chargées de tâter le pouls de l’économie de façon régulière. Mais, sur cette base, si le président de la Banque vient devant le Congrès ou les journalistes pour affirmer que c’est la catastrophe, que tout va mal, ce sera la panique sur toutes les Bourses. Donc il faut le dire tout en prétendant le contraire.
Pendant plusieurs mois, une personne sera d’ailleurs destinée à enseigner au nouveau président le vocabulaire à utiliser. Si bien qu’en fin des années 80, lors d’une interrogation devant le Sénat, un élu eut le culot d’affirmer qu’il comprenait ce que les propos du représentant de la Banque centrale signifiaient et reçut cette réponse fulgurante de Greenspan : « Monsieur le sénateur, si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé » [3].
Le premier événement auquel fut confrontée la FED est la chute des Bourses en octobre 87. Les investisseurs vont subitement vendre leurs actions, suite à l’annonce d’une mauvaise nouvelle, un taux de chômage se relevant. Mais la crise est passagère et les cours vont rapidement remonter. Greenspan en tirera comme conclusion : il y a une autorégulation naturelle des marchés.
Il craint que cette conviction, très autoréalisatrice dans son cas, ne fasse pas un très bon effet au sein de l’institution censée réguler les marchés financiers. Il se propose donc d’être passif dans la décision que doit prendre la Federal Reserve. Jusqu’au moment où il se rend compte que son conservatisme libéral est partagé par bon nombre de ses collègues (p.478) : réguler le moins possible devient le credo de l’ère Greenspan.
Les taux se resserrent
Il va passer ainsi dix-huit ans, - un mandat renouvelé tous les quatre ans -, affrontant les tempêtes du désert en 91, l’effondrement des caisses d’épargne fin des années 80, la crise mexicaine en 95, la crise asiatique et ses suites en 97-98, l’éclatement de la bulle Internet en 2000 et les incertitudes liées aux attaques contre le World Trade Center le 11 septembre 2001.
Ce qu’il négocie le mieux, ce sont les baisses et hausses d’intérêt. Comme les banques s’approvisionnent en dernier ressort à la Federal Reserve, les taux décidés influent sur les opérations de crédit à court terme. En revanche, c’est le Département du Trésor et principalement Larry Summers, d’abord sous-secrétaire puis secrétaire du gouvernement Clinton, qui va traiter les négociations pour régler les crises à l’étranger : au Mexique, en Asie, en Russie, au Brésil...
L’opération qui fera le plus de bruit sera la baisse des taux à 1% - c’est-à-dire trois fois rien - de 2002 à 2004. Pour éviter un krach boursier majeur à ce moment, l’affaire est réussie. Seulement, cela va inciter les ménages à s’endetter pour devenir propriétaire d’une maison. Cette mesure a alimenté la crise immobilière actuelle.
Mais qu’importe, on ne pouvait pas laisser la nouvelle équipe Bush Jr. dans l’embarras. D’autant que le président de la FED accueille chaleureusement la nouvelle administration conservatrice. C’est la victoire des Républicains, mais qui plus est nombre de ceux qui étaient à la Maison Blanche, vingt-cinq ans plus tôt avec lui et Gérald Ford, reviennent au pouvoir. C’est le cas de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld. Et il y a Paul O’Neill, ancien président d’Alcoa dont il était administrateur.
Les amis ne sont plus ce qu’ils étaient
Rapidement, Greenspan est gagné par la déception. Ce ne sont pas les mensonges à propos de l’implication de l’Irak dans les attentats du 11 septembre qui le préoccupent. Pas plus que les milliers d’Irakiens et d’Afghans tués pour cette « guerre préventive » contre le terrorisme totalement injustifiée. Ni les privations de droits des citoyens américains grâce aux nouvelles lois « Patriot ». Non ce qui le dérange, c’est le relâchement vis-à-vis du déficit budgétaire.
L’administration Clinton avait renoué en fin de parcours avec des excédents. Des projections qui se sont avérées fallacieuses permettaient d’espérer des boni quasi permanents durant les années qui venaient. Le programme de Bush était de restituer cette masse d’argent aux contribuables, évidemment aux plus riches d’abord. Seulement, la crise et la chute du Nasdaq [4] aidant, une partie importante des prévisions s’évaporèrent. Mais Bush maintint son optique. Ce qui a entraîné un dérapage budgétaire. Inacceptable pour Greenspan.
En outre, Paul O’Neill, son ami, se trouvait presque tout le temps en porte-à-faux avec l’économiste en chef de la Maison Blanche. Il fut forcé de démissionner après deux ans et laisser la place à John Snow, plus accommodant. Cela n’a pas ravi le président de la FED.
Ce qui ne l’a pas empêché d’être affirmé à plusieurs reprises dans ses fonctions jusqu’en 2006, lorsque à 80 ans, il décide définitivement de prendre sa retraite (et d’écrire ses mémoires). C’est Ben Bernanke qui lui a succédé.
L’autocratie entrepreneuriale
On peut être étonné par les nombreuses prises de position d’Alan Greenspan qui flirtent avec le conservatisme le plus radical et le plus extrême et qui sont révélées fièrement dans le livre.
Ainsi, il se prononce en faveur du nucléaire pour faire face au réchauffement climatique (p.576). Il critique les Européens de bénéficier de système de sécurité sociale qu’ils ne pourraient plus se permettre dans le monde concurrentiel actuel (p.639). Il estime que l’affaire des pensions doit être réglée individuellement et que c’est à chaque personne de prendre en charge la nécessité de se couvrir, le régime à prestations fixes ou définies ne pouvant plus fonctionner correctement à l’avenir vu le manque de financement (p.524, 530 et 537). Ce serait donc le développement d’un système d’assurance privée qui devrait combler cette lacune, avance-t-il. Il se prononce pour l’autoritarisme dans les firmes : « Le monde fortement concurrentiel d’aujourd’hui exige que chaque entreprise exécute les plans d’un seul meneur » (p.549). Ne parlait-on pas de démocratie et des Etats-Unis comme pays source de la démocratie ?
Sois pauvre et tais-toi !
Dans le domaine des inégalités, ses propos confèrent à l’absurdité. Il reconnaît que cette évolution accroît la part des riches au détriment des moins favorisés et il le regrette même. Mais, au lieu de punir ceux qui réussissent, il faut, ajoute-t-il, donner les moyens aux autres de se prendre en charge et de gagner bien davantage. Ceci ne peut se réaliser que par l’éducation : des gens mieux formés auront des boulots plus qualifiés et donc mieux payés. Convaincus ?
Pas trop ? Parce que créer un salarié qualifié ne signifie pas qu’il y aura un poste pour lui et, si ce n’est pas le cas, il viendra sur le marché des travailleurs postulant des emplois mieux rémunérés. De ce fait, l’offre augmentant, le prix va baisser. Une loi élémentaire de l’économie. Même un conservateur devrait le savoir.
Ensuite, s’il faut des emplois aux compétences technologiques affirmées, il faut en même temps des postes pour s’occuper de tout le sale boulot laissé par ces surdoués. En effet, il faut nettoyer les bureaux, voire les domiciles privés. Il faut préparer des repas pour que les génies de l’Internet puissent se consacrer quasi exclusivement à leur « créativité ». Il faut organiser des fast-food. Il faut développer le personnel de magasin, qui sera sous-payé comme à Wal-Mart, le plus gros employeur privé des Etats-Unis...
Bref, tous ces emplois proposés ne disparaîtront pas parce que les Américains seront mieux éduqués. Soit ceux-ci se consacreront uniquement à leurs compétences ultrasophistiquées et il faudra alors faire venir une population immigrée pour tenir les sales boulots mal payés. Soit une partie de la population américaine ne pourra espérer mieux que ces postes et, pour les occuper, c’est peine perdue de leur donner une formation hautement développée. Notons que le Bureau of Labor Statistics (le bureau des statistiques du travail) élabore des projections sur les emplois qui seront demandés dans les dix ans qui viennent. Il note que ce sont justement ces deux types de postes qui vont avoir le vent en poupe dans la décennie à venir : les fonctions très spécialisées et très techniques, d’une part, mais aussi les boulots qui peuvent être réalisés par un personnel sous-qualifié et mal payé, d’autre part.
Il est intéressant de souligner que George Bush interrogé récemment sur cette question a donné le même type de réponse que Greenspan. Comme quoi entre conservateurs, on épouse fondamentalement les mêmes idées.
Un nouveau produit financier inconnu à la FED : la régulation
C’est dans le domaine de la réglementation financière que le point de vue de l’homme de la FED a de quoi inquiéter. Car c’est de cela qu’il a traité durant dix-huit ans. Sa philosophie de laisser faire est déroutante pour celui qui est censé réglementer.
« Les marchés étant devenus trop complexes pour une intervention humaine efficace », prétend-il, « les politiques anti-crise les plus prometteuses sont celles qui maintiennent une flexibilité maximale du marché ; la liberté d’action pour les principaux acteurs du marché, tels que les hedge funds [5], les fonds d’actions privés et les banques d’investissements » (p.621).
Il poursuit : « La régulation, par sa nature, inhibe la liberté d’action des marchés, et cette liberté d’intervention rapide est ce qui rééquilibre ces marchés. Réduisez la liberté, et c’est tout le processus d’équilibrage des marchés qui est mis en péril » (p.621).
Il termine : « Les efforts pour surveiller et influencer le comportement de marchés qui fonctionnent à des vitesses supersoniques échoueront. La surveillance par le secteur public n’est plus à la hauteur de cette tâche. Les armées d’analystes qui seraient nécessaires pour suivre les transactions mondiales entraveraient par leurs interventions la flexibilité financière qui est tellement nécessaire à notre avenir. Le bon sens ne nous offre pas d’autre choix que de laisser les marchés fonctionner » (p.624).
De fait, le bon sens – que n’a-t-on entendu ce mot en sciences économiques pour justifier toute la théorie de la libre concurrence – devrait nous faire accepter la liberté des grands financiers et spéculateurs d’agir à leur guise (en respectant les lois, précise Greenspan), même si cela cause un krach boursier, le licenciement de plusieurs millions de travailleurs victimes de restructurations suite aux décisions financières, la perte de leur logement pour des millions de personnes ne pouvant plus rembourser le prêt à taux variable octroyé par la banque... La liberté d’action revendiquée n’a donc pas la même signification pour tous. Car quelle est la liberté d’action du chômeur, du sans logis, du « working poor » [6] ?
Greenspan nous livre donc un concentré de doctrine néolibérale tout à fait imbuvable et abjecte, n’ayant aucune considération pour les gens qui doivent subir les conséquences sociales de ces politiques. Un instrument profitable à l’auteur puisqu’il aurait reçu 6 millions d’euros pour écrire ce document « aussi excitant qu’un mur de parpaings » [7]. Et dire que cet homme a dirigé la Federal Reserve, en ayant des cartes maîtresses pour influer sur l’économie mondiale...
Henri Houben
Le système de la Banque centrale américaine
La Federal Reserve (FED) a été créée officiellement en 1913, suite à la crise de 1907 qui a montré aux financiers américains la nécessité d’avoir un organisme pouvant assurer la stabilité du système. Elle chapeaute un réseau de douze banques régionales qui sont financées par le privé. Elle ne reçoit d’ailleurs aucun subside de fonctionnement. Elle vit des bénéfices réalisés sur les marchés financiers.
Le président est, néanmoins, nommé par la Maison Blanche. Et il doit rendre des comptes deux fois par an devant le Congrès.
Les objectifs sont triples : un taux d’emploi maximum, une lutte contre l’inflation de tout instant et des taux d’intérêt le plus bas possible. Les moyens utilisés sont surtout la fixation du taux d’escompte, des réserves obligatoires des banques privées et les opérations sur les marchés des taux d’intérêt.
De ce fait, la FED joue un rôle dans la création monétaire. On sait que celle-ci est l’apanage de plus en plus des banques privées : 7% de la monnaie circule sous forme de billets ou de pièces ; le reste est composé d’opérations de crédit accordées par les banques ou de produits financiers pouvant servir de paiement en certaines occasions. C’est une création monétaire étant donné que le compte d’endettement n’existait pas auparavant et il est garanti par un avoir comme un immeuble ou un terrain.
Comment la Banque centrale intervient-elle dans cette création monétaire ? En jouant sur les taux d’intérêts et sur le marché monétaire. Si elle adopte un taux bas, elle favorise les opérations de crédit et donc la création monétaire. Inversement, si elle monte ses taux, elle rend l’emprunt des banques, qui s’approvisionne à la FED en dernier ressort, plus cher et donc cela se répercute sur tous les prêts.
La gestion des taux est donc importante pour l’activité économique américaine. Elle peut conditionner la croissance ou la crise. Elle aura des répercussions sur la valeur du dollar. De cette façon, même si ce n’est pas son rôle premier, les décisions de la FED, symbolisée par son président, influent sur toute l’économie mondiale. Il n’est donc pas usurpé d’appeler ce président le Maître du monde économique. Lorsque Greenspan jouait ce rôle, c’était même tout à fait approprié.
[1] Alan Greenspan, Le temps des turbulences, éditions JC Lattès, Paris, 2007, p.25. Sauf indications contraires, les références de pages sont liées à cet ouvrage.
[2] Le président sortant, Lyndon Johnson, renonça à se présenter vu les conflits dans son propre parti à propos de la guerre du Vietnam.
[3] Cité dans Patrick Artus, Les incendiaires. Les banques centrales dépassées par la globalisation, éditions Perrin, Paris, 2007, p.76.
[4] Le Nasdaq est la Bourse de New York où sont cotées la plupart des firmes travaillant dans les secteurs technologiques.
[5] Un hedge fund est grosso modo un fonds spéculatif. Il est alimenté par des personnes assez riches ou par d’autres sociétés financières pour intervenir sur les marchés financiers et gagner de l’argent à partir de toutes les opportunités qui se présentent (surtout à court terme).
[6] Celui qui travaille et qui reste, néanmoins, pauvre, car mal payé.
[7] Alternatives économiques, n°263, novembre 2007.