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Editorial Angles d’Attac n°90, avril 2008

Le moment alternatif

par Henri


En 1991, un républicain conservateur Charles Krauthammer, éditorialiste au Washington Post, grand quotidien américain, explique la nouvelle situation mondiale, suite à l’effondrement de l’URSS, comme le moment « unipolaire », celui où il n’y a plus qu’une seule puissance sur la planète : les Etats-Unis. Il ne peut contenir sa joie : « Le monde de l’immédiate après-guerre froide n’est pas multipolaire. Il est unipolaire. Le centre du pouvoir mondial est la superpuissance non contestée, à savoir celle des Etats-Unis, assistée par ses alliés occidentaux (...). Maintenant, c’est le moment unipolaire »  [1].

Aujourd’hui plus qu’auparavant on peut décrire la catastrophe économique, sociale, écologique, politique, idéologique, culturelle qui s’en est suivi : succession de conflits armés un peu partout sur la terre, interventions militaires américaines accrues, dégradations sociales généralisées, déstructurations de régions, voire de pays entiers, épuisement des ressources énergétiques sans réelles perspectives alternatives, augmentation démesurée des pollutions en tout genre, déréglementations climatiques... Maintenant, nous sommes au seuil d’une profonde crise économique et financière. La seule inconnue est de savoir si elle va se déclencher dans les semaines ou mois qui viennent ou s’il faudra attendre encore quelques années.

Plus que jamais ce que certains appellent la mondialisation capitaliste et d’autres le néolibéralisme montre sa complète faillite. Ce système – et, avec lui, ceux qui l’administrent ou qui en tirent parti - ne manifeste pas seulement son réel désintérêt vis-à-vis des populations les plus pauvres, obligées de trimer en échange d’un salaire de misère pour permettre à une poignée de se construire des villas à Dubaï ou dans l’île Saint-Barthélemy. Il n’exprime pas seulement son dédain pour les risques qu’il fait courir à la planète : couche d’ozone, manipulations génétiques ou même guerres nucléaires qui ne sont toujours pas exclues. Mais, avec la récession qui s’annonce, il présente sa profonde inefficience économique. Ce qui était soi-disant sa supériorité sur tous les autres systèmes se transforme en une de ses plus grandes faiblesses, laissant des gouffres géants comme un endettement sans précédent des ménages américains, des déficits commerciaux qui ne cessent de s’accroître, de nombreuses personnes qui vont être jetées hors de leur maison suite à la crise immobilière, un chômage qui menace d’exploser à nouveau, des inégalités planétaires abyssales...

Plus que jamais, il est nécessaire de proposer et de débattre d’alternatives. Le monde, tel qu’il existe aujourd’hui, ne peut plus subsister. Sa continuation logique, c’est le chaos, les tensions entre Etats et les guerres. Il est temps d’avancer autre chose, même si cela peut prendre du temps à se mettre en place. De ce point de vue, c’est le moment alternatif.

Déjà de nouveaux projets sont lancés. Ainsi en est-il de la pétition initiée par un collectif d’une cinquantaine de scientifiques, en majorité d’Attac France (mais aussi avec la participation d’Allemands). Elle propose d’en revenir à la régulation des marchés financiers. Comme mesure concrète, elle se focalise sur la suppression de la liberté des mouvements de capitaux, notamment dans l’Union européenne. Elle peut être signée en ligne sur un nouveau site créé pour l’occasion [2].

Mais ce n’est pas la seule initiative. Depuis plusieurs années, certains ne jurent que par une action sur la consommation, par exemple en boycottant tel ou tel produit. D’autres encore généralisent et théorisent cette approche au sein d’un nouveau concept de décroissance nécessaire : il s’agit de réduire drastiquement notre manière de consommer.

Il y a des propositions pour s’attaquer à la répartition inégale des richesses. A la fois sur le plan mondial et européen. Ainsi, Michel Husson [3], économiste marxiste, membre du conseil scientifique d’Attac France et participant au collectif cité ci-dessus, défend le salaire minimum en Europe, ainsi que le maintien du niveau de la part salariale dans le Produit intérieur brut (PIB).

Citons encore des revendications en faveur d’un retour des services publics ou de la défense de secteurs menacés de privatisations. Pour l’instant, cela reste au niveau de réaction à des volontés patronales. Mais on pourrait imaginer un caractère plus offensif. Parce que les services publics peuvent rendre accessibles collectivement certains biens ou services à toutes et tous, peu importe le lieu où ils vivent ou le montant des revenus dont ils disposent. En outre, c’est la possibilité de (re)développer des emplois de bonne qualité dans des pays ou régions frappés par un haut taux de chômage.

Sans compter les innombrables exigences en matière fiscale : impôt plus juste [4], fiscalité sur les bénéfices d’entreprise, sur le patrimoine, sur les successions, sur les plus-values boursières... Et on pourrait ainsi continuer la liste longuement.

Sans doute toutes ces propositions ne sont pas antinomiques. Mais elles le sont étant donné les faibles forces que nous représentons et que nous pouvons mobiliser : il faut établir des priorités. Sans quoi notre combat se perd dans une diversité sans fin et sans unité. Nous ne pouvons établir ces orientations à quelques-uns et décider pour le reste. Cela doit participer d’un mouvement collectif de discussions argumentées, en vue de tirer des conclusions pour nos luttes futures.

C’est pourquoi les deux événements de cet été sont si importants, à la fois l’université d’été d’Attac Europe qui aura lieu du 1er au 6 août à Sarrebruck et le Forum social européen de Malmö en septembre. Le premier est une innovation. C’est la toute première fois qu’au lieu de tenir des universités par pays, Attac se lance dans l’organisation européenne d’une semaine d’intenses réflexions [5].

C’est un projet similaire que poursuit le Forum social européen. Il se tient au sud de la Suède, dans ce que les Scandinaves considèrent comme étant « leur » modèle social. Il est temps d’aller là-bas leur dire qu’on doit défendre collectivement et de façon solidaire les acquis sociaux dans toute l’Europe. Il n’y aura pas d’oasis sociale scandinave dans une Europe détruite par le libéralisme. D’où l’importance de s’y rendre. Et pour préparer activement ces événements, nous vous invitons à l’assemblée d’Attac Bruxelles 1 du 7 mai. C’est plus que jamais le moment alternatif, celui qui précède celui des luttes proprement dites.

Henri Houben

Notes

[1Charles Krauthammer, « The Unipolar Moment », Foreign Affairs, n°1, hiver 90, p.23-24. Article Foreign Affairs

[2Pétition européenne, « Spéculation et crises : ça suffit ! » : Lien pétition

[4Voir la journée séminaire du Réseau pour la Justice fiscale à Charleroi, le samedi 24 mai. Info journée

[5Info ESU et Site ESU (ESU est European Summer University, soit université européenne d’été (d’Attac)


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