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La guerre en Irak

par Henri

Il est parfois utile de revenir sur le passé et de se rappeler ce qu’ont dit les uns et les autres.

Cet article a été publié juste avant le déclenchement de la guerre en Irak, au moment des manifestations monstres pour la paix, notamment dans les capitales européennes les plus favorables au soutien à Washington : Londres, Madrid et Rome.

On peut voir avec quel mépris les dirigeants de ces pays ont traité tous ceux qui sont descendus dans la rue pour essayer de participer à la politique et de sauver ce monde de la guerre. Aujourd’hui, on sait, en outre, qu’ils ont menti sciemment. Il n’y avait pas d’armes de destruction massive. Ils ont inventé ce prétexte pour intervenir et créer un précédent dangereux : ce sont eux qui décident qui peut rester au pouvoir dans les Etats indépendants, au mépris de la souveraineté nationale.

Une situation qui n’a guère changé depuis lors.

Article paru dans Angles d’Attac, n°43, mars 2003, p.2-3.


Qui sont les véritables dictateurs ?

Etions-nous dix ou quinze millions dans les rues ce samedi 15 février pour dénoncer la guerre qui se prépare et la volonté américaine d’attaquer l’Irak à tout prix ? A la limite, peu importe. C’est la plus grande manifestation mondiale, organisée en même temps aux quatre coins de la planète. On se croirait revenu aux temps de la guerre du Vietnam, là aussi une agression des Etats-Unis.

Mais pensez-vous que la mobilisation de l’opinion mondiale a ébranlé les maîtres de Washington, de Londres, de Canberra ou de Madrid, les plus acharnés à prôner le conflit militaire ?

La conscience morale de la planète ?

Tony Blair, le Premier ministre britannique et, rappelons-le, membre de l’Internationale socialiste (1), n’en a cure. A Glasgow, le samedi matin même de la manifestation monstre, il a invoqué la supériorité des valeurs occidentales de démocratie pour envoyer paître tous les opposants à la guerre. Devant la conférence de printemps de son parti, le Labour (l’équivalent du parti socialiste), il a déclaré : « L’argument moral contre la guerre a une réponse morale : c’est l’argument moral pour renverser Saddam » (2). Mais, bon sang, au nom de quoi ? Et qui est ce Tony Blair pour s’ériger ainsi en conscience morale de la terre ?

Mais il poursuit, en faisant des pronostics sur la démonstration populaire qui devait défiler les rues de Londres quelques heures plus tard : « S’il y a 500.000 manifestants, ce sera toujours moins que le nombre de morts dont Saddam est responsable. S’il y en a un million, ce sera toujours moins que le nombre de gens morts dans les guerres qu’il a déclenchées. Débarrasser le monde de Saddam serait un acte d’humanité. Le laisser où il est, en fait, inhumain. C’est pour cela que je ne reculerai pas devant l’action militaire, si elle devenait nécessaire » (3).

Pas de chance pour l’apothicaire Blair, ce ne sont ni 500.000, ni un million de personnes qui ont protesté contre son intransigeance, mais un million et demi. Le gouvernement britannique a réussi à rassembler la plus grande opposition populaire jamais rencontrée dans l’histoire de l’Angleterre.

Mais trêve de chiffres. Car même s’il y avait eu moins de monde aux manifestations, les justifications de Blair comme de Bush sont, de toute façon, tirées du manuel des tyrans : « nous sommes la démocratie ; nous avons le droit de juger les autres pays et donc de leur faire la guerre s’ils ne respectent pas nos principes ». C’est avec ce genre d’arguments que les pays coloniaux ont envahi l’Amérique, l’Asie et l’Afrique. C’est en utilisant de pareilles fadaises qu’Hitler est entré en Tchécoslovaquie, puis en Autriche et en Pologne.

La « nouvelle politique » au service de qui ?

Tony Blair termine son argutie : « C’est un moment difficile, éprouvant, mais si nous le surmontons, notre récompense ne sera pas seulement d’avoir un gouvernement capable de continuer son travail. Ce sera beaucoup plus important que cela : ce sera un signal que nous avons vraiment changé la politique pour de bon » (4).

Quoi ? Transformer la politique, c’est afficher un mépris complet vis-à-vis de la mobilisation populaire ? C’est continuer le cap, mais au profit de qui, si ce n’est pas du peuple ?

Tony Blair avoue, ainsi, que sa fameuse « nouvelle politique » n’est pas dictée par le mandat « démocratique » que la population lui a donné, mais par celui des groupes d’intérêts, des patrons, parmi lesquels on retrouve très certainement en tête BP, Shell, BAe Systems, Vickers, Rolls-Royce, c’est-à-dire les compagnies pétrolières et d’armement. C’est en faveur de celles-ci que le gouvernement britannique veut prouver qu’il a « vraiment changé la politique pour de bon ».

Dans le petit livre qu’Attac Bruxelles vient de publier (5), davantage tourné vers la politique américaine, nous avons épinglé le Projet pour Le Nouveau Siècle Américain (Project for the New American Century : PNAC). Ce nouveau siècle, le XXIème, doit être selon les promoteurs du PNAC celui de l’hégémonie planétaire des Etats-Unis comme le XXème l’a été aussi. Dans les principes du PNAC, il est écrit : « Nous visons le leadership mondial des Etats-Unis et nous essayons de rallier un maximum de soutien à cet objectif ». Et, parmi les signataires, on trouve : Dick Cheney, actuel vice-président des Etats-Unis, Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense, Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense, Jeb Bush, le frère cadet de George et actuel gouverneur de Floride.

C’est donc un projet de domination du monde élaboré par les plus hautes personnalités de l’Etat américain. Ce plan passe par la domination du Moyen-Orient et de l’Irak, car c’est là que résident les deux tiers des réserves pétrolières mondiales. Celui qui s’empare de cela non seulement peut s’approvisionner durablement en énergie, mais peut également imposer ses conditions aux autres pays.

Encore plus de gens dans les rues ?

La guerre en Irak n’est donc pas un projet pour la démocratie, mais pour la dictature planétaire d’une clique installée à Washington, à New York et dans les autres grandes villes américaines. Ce sont eux les véritables dictateurs de la terre. Ce sont eux qui ont déjà par le passé mis le globe à feu et à sang.

Ne les laissons pas faire. Mobilisons-nous à nouveau. On voit, par exemple, que le gouvernement italien face aux trois millions de gens dans les rues de Rome devient hésitant. A ceux qui se demandent de l’utilité de ce genre d’initiative, voilà une réponse, même s’il y a moyen de faire d’autres choses.

A l’heure qui vient, il est difficile encore de prévoir les prochaines actions. Mais il est probable qu’une nouvelle manifestation internationale sera prévue aux environs de la mi-mars. Il est probable qu’elle tombera au moment où les fameuses « frappes chirurgicales » auront commencé (puisque la gouvernement Bush est prêt à passer outre les semblants de démocratie internationale et de respect de droit international que représente l’ONU). Ne soyons plus 15, mais 20 millions ! Cela, c’est une bataille de chiffres qui vaut la peine.

Henri Houben

(1) Notons quand même que l’Internationale socialiste a pris position contre la guerre. (2) Le Monde, 17 février 2003. (3) Le Monde, 17 février 2003. (4) Le Monde, 17 février 2003. (5) Attac Bruxelles, USA-Irak. L’essence d’un conflit, 2002, repris dans Mourir pour MacDo en Irak, voir annonce sur ce site.

C’est une guerre pour le pétrole, pardi !

S’il faut donner encore des arguments pour montrer que la démocratie n’a rien à voir avec l’agression qui se prépare contre l’Irak, donnons la parole à Jeffrey Sachs, économiste, pourtant, ultra-libéral qui a joué un rôle destructeur dans la transition soviétique au capitalisme. Le titre de son article dans Les Echos, quotidien financier français, est évocateur et incontestablement plus proche de la réalité que les propos hypocrites de Blair : « L’Amérique part en guerre pour le pétrole ».

Il explique : « Le Moyen-Orient actuel est une construction américaine et européenne. Ses despotes et ses monarques doivent leur position aux machinations et aux connivences de l’Ouest. Même si l’Amérique se jette sur le sentier de la guerre en agitant le drapeau de la démocratie, les résultats seront probablement moins glorieux. A la fin, ce ne sera vraisemblablement qu’une guerre d’appropriation du pétrole irakien ».

Il ajoute : « A travers tout le XXème siècle, l’autodétermination arabe, la démocratie et les réformes économiques ont toujours été reléguées au second plan par rapport à la question du pétrole. Quand, au cours de la première guerre mondiale, les Britanniques réussirent à convaincre par la ruse les chefs arabes afin qu’ils combattent au nom de l’empire britannique, les Arabes ne reçurent pas en retour la souveraineté espérée, à la fin de la Grande Guerre : ils ne reçurent que le joug destiné aux suzerains des Britanniques et des Français. A chaque fois qu’une démocratie établie au Moyen-Orient a menacé le contrôle exercé par les Américains sur les réserves de pétrole, cette démocratie a été renversée, comme ce fut le cas avec le coup d’Etat organisé contre le Premier ministre iranien Mossadegh en 1951, orchestré avec l’aide de la CIA, quand il nationalisa l’industrie pétrolière iranienne, déclenchant un boycott britannique l’année suivante, puis l’intervention soutenue par les Etats-Unis (qui mena au renversement de ce Premier ministre qui avait les faveurs du peuple avant de mener à son emprisonnement) en 1953 ».

Il termine : « Le gouvernement Bush peut bien se convaincre qu’il part en guerre pour défendre la démocratie au Moyen-Orient, le soutien de Washington en faveur d’une véritable démocratie en sera pourtant probablement la première victime. Malheureusement, mener une guerre pour du pétrole ne fera que déstabiliser la politique et la communauté internationales, tout en minant la véritable sécurité des Etats-Unis et du monde entier » (1).

Pour une fois, reprenons à notre compte ce que cet ultra-libéral raconte. Ajoutons que derrière cette « nouvelle politique qui a vraiment changé pour de bon », que ce soit aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, il y a des groupes influents qui représentent l’opinion et les intérêts de l’élite américaine, soit les chefs des principales multinationales et leurs représentants politiques.

Henri Houben

(1) Les Echos, 10 février 2003, p.49.


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