Première université d’été d’Attac Europe
Séminaire Flexicurité et démantèlement social en Europe
Ce texte, présenté par Evelyne Perrin, membre d’Attac France, d’AC ! et de « Stop Précarité », est présenté à l’université d’été d’Attac France à Toulouse, le 23 août 2008. Il correspond à ce qu’Evelyne Perrin a exposé lors de l’université d’Attac Europe à Sarrebruck, trois semaines plus tôt. C’est en cette qualité que nous le reproduisons ici.
Le chômage reste élevé et la précarité continue à se développer en France, alors que les gouvernements successifs appliquent les recettes néo-libérales de la « Stratégie de Lisbonne », adoptée en mars 2000, pour « fluidifier » le marché du travail et imposer aux travailleurs une flexibilité étroitement ajustée aux besoins du patronat. Face aux attaques récentes (lois du 12 juin de « modernisation du marché du travail » et du 23 juillet de sanctions contre les chômeurs), il est plus que jamais nécessaire de se battre pour arracher un statut de vie sociale et professionnelle pour tous, c’est-à-dire une garantie de revenu décent et la continuité des droits pour tous, avec ou sans emploi, comme le réclament 15 organisations.
Chômage et précarité restent la donne
Si le chiffre officiel du chômage semble baisser, le Collectif ACDC (Autres Chiffres du Chômage) évalue le nombre réel de chômeurs en France à 4,5 millions, en intégrant les non inscrits, les chômeurs des DOM-TOM et ceux dispensés de recherche d’emploi. La principale cause d’entrée au chômage n’est plus les licenciements, mais les fins de CDD et de missions d’intérim. Si le pourcentage de contrats de travail atypiques (CDD, emplois aidés, intérim) reste à hauteur d’environ 13% des emplois en France, les contrats précaires deviennent le lot des nouveaux entrants sur le marché du travail : plus de 70% des embauches se faisaient en 2005, selon la DARES, en CDD d’une durée moyenne d’un mois et demi. Les jeunes sont particulièrement touchés par cette précarité, car ils mettent de plus en plus longtemps à obtenir des CDI. Les plus diplômés sont souvent exploités sans être payés sous forme de stages (800.000 par an). A cela s’ajoute une sévère discrimination sur le marché du travail à l’égard des populations descendantes d’immigrations post-coloniales. Quant aux femmes, elles cumulent salaires inférieurs, temps partiel imposé élevé.
Face à cette situation, l’indemnisation du chômage, créée en 1958 pour couvrir toutes les personnes perdant leur emploi, n’a cessé de se dégrader, avec des reculs successifs entérinés par les syndicats cogestionnaires de l’UNEDIC (à l’exception de la CGT). Aujourd’hui, plus de la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés ; ceux qui le sont encore par les ASSEDIC touchent en moyenne 57% de leur ancien salaire, pour des durées de plus en plus courtes ; ainsi les chômeurs sont-ils de plus en plus nombreux à basculer dans le régime de l’assistance payée par l’Etat, Allocation de solidarité spécifique pour les plus âgés, ou RMI pour les plus de 25 ans sans autre ressource familiale, dont les montants (autour de 400 euros) sont insuffisants pour vivre.
Il se développe donc une paupérisation accrue des personnes à la recherche d’un emploi, tandis que la qualité de l’emploi se détériore, que le sous-emploi s’étend – ACDC parle d’ « emploi inadéquat » - , au moment où les profits n’ont jamais été aussi élevés. Cette situation est de toutes pièces créée par les politiques néo-libérales qui démantèlent brutalement ce qui avait fait la force des Etats-Providence et créent la concurrence de tous contre tous (salariés entre pays, salariés contre chômeurs), à travers le « dumping social » érigé en dogme de l’Union Européenne (Cfr les 4 arrêts récents de la Cour de Justice Européenne).
Les attaques récentes contre salariés et chômeurs
En 2008, le gouvernement français vient de faire voter deux lois qui instaurent une flexibilité accrue et constituent des reculs gravissimes en matière de droit du travail et de droits des chômeurs. La première loi, dite de « modernisation du marché du travail » , votée le 12 juin, a entériné un accord conclu au forceps, sous la pression du gouvernement, entre le patronat et les syndicats (la CGT ayant été la seule à refuser de le signer) le 11 janvier 2008. Cet accord et cette loi qui le reprend en partie créent la « séparabilité à l’amiable », sans recours possible pour le salarié au bout de…15 jours ( !), le CDD de mission dont la durée est, entre 18 et 36 mois, inconnue à l’avance, et doublent la durée des périodes d’essai, jusqu’à 8 mois pour les cadres ! (Il s’agit presque d’un retour du CPE, retiré sous la pression de la rue, et du CNE, abrogé suite à sa condamnation par la jurisprudence et par l’OIT). De plus, la saisie des prud’hommes est rendue plus difficile, et le patron peut modifier plus facilement les clauses essentielles du contrat de travail. En échange, les avancées en terme de sécurité sont aléatoires, car conditionnées à des négociations ultérieures, et symboliques.
Non content de ces reculs, et avant même que ne s’ouvre la renégociation de la convention d’assurance-chômage, le gouvernement impose dans la foulée une nouvelle loi, dite « Droits et devoirs des demandeurs d’emploi » , votée le 23 juillet, qui instaure des sanctions sans précédent contre les chômeurs qui refuseraient une offre dite « raisonnable » d’emploi, celle-ci pouvant être au bout d’un an de chômage éloignée géographiquement et d’un salaire juste supérieur au montant de l’allocation de chômage ! En matière de droits nouveaux, par contre, rien.
Face à ces attaques d’une extrême gravité, il faut bien reconnaître que les syndicats n’ont absolument pas mobilisé, ni fait appel à l’opinion des salariés et des chômeurs, tenus à l’écart des négociations ; et que la gauche parlementaire s’est très peu fait entendre contre ces deux lois, à l’exception du PC et des Verts. Seul un front d’organisations constitué des associations de chômeurs et de précaires et de Solidaires a essayé de faire passer l’information, par des appels que la presse n’a pas daigné relayer.
L’alternative : une garantie de revenu décent pour tous
Il importe de s’opposer à cette flexibilité accrue par la lutte pour une sécurité des salariés ou demandeurs d’emploi, ou une sécurité sociale professionnelle, conçue comme une 5ème branche de la sécurité sociale. Depuis 2006, les associations de chômeurs (AC !, APEIS, MNCP) ont mis en place un front commun avec Solidaires, qui s’est élargi à 15 organisations : Collectif National Droits des Femmes, Stop Précarité et Génération Précaire, la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France, le DAL, No Vox, le réseau OUPS (Observatoire Unitaire des Politiques Sociales), la Fondation Copernic, la Confédération Paysanne, les Marches Européennes…. Ce réseau, après avoir pris connaissance des revendications de nouveau statut du travail salarié de la CGT, de nouveau statut du travailleur de la CFTC, de nouveau statut du salarié de Solidaires, a élaboré une plate-forme commune pour un « statut de vie sociale et professionnelle », reposant sur une garantie de revenu décent et la continuité des droits pour tous, avec ou sans emploi : chômeurs, primo-demandeurs d’emploi, temps partiels imposés, paysans, stagiaires… Ce revenu devrait être de 80 à 100% du SMIC – le montant est en débat - . Il devrait être versé par un fonds interprofessionnel mutualisé au niveau national, reposant essentiellement sur la cotisation sociale, avec des compléments de recettes fiscales ; ce fonds devrait être cogéré de façon quadripartite par les syndicats, les associations de chômeurs, le patronat et l’Etat.
ATTAC France a été informé de cette plate-forme et la considère comme intéressante, même s’il ne l’a pas encore signée. Elle a été présentée à l’université d’été européenne d’ATTAC à Sarrebruck en août 2008 et y a reçu un accueil favorable de la part des autres ATTAC européens, ATTAC Belgique ayant une revendication à peu près similaire (Cfr interventions de Henri Houben et de Sophie Heine dans les ateliers consacrés à la flexisécurité). L’université européenne a retenu dans ses résolutions la revendication d’une sécurité sociale professionnelle. Cela devra être mis à l’agenda des campagnes coordonnées des ATTAC d’Europe au cours des prochains mois, et devrait être proposé dans le programme de certains candidats aux élections européennes.
Quel rapport avec l’écologie, diront certains ? L’écologie radicale et populaire ne peut se désintéresser du développement de la paupérisation et de la précarité et des reculs en matière de droits sociaux. Elle doit intégrer la lutte pour le droit à une protection et à une indemnisation décente contre les risques de chômage et de précarité, qui touchent aujourd’hui chaque famille des classes populaires et moyennes. Il ne s’agit pas de pousser au productivisme, et à la surconsommation. Il s’agit de développer une société solidaire. Dans cette optique, la question de la contribution de chacun(e) à la société reste bien entendu à débattre. Mais le droit à un emploi de qualité doit être revendiqué. Une politique de développement de l’emploi devra impérativement s’accompagner d’une réduction du temps de travail forte (32h), sans augmentation de la flexibilité et avec création d’emploi correspondante, et d’un développement des services publics. Bien évidemment, elle ne sera pas possible sans une taxation importante des flux de capitaux, des fortunes, de la spéculation financière et des profits, ce qui suppose une mise en œuvre au niveau européen.