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Pourquoi la guerre en Irak ?

par Henri

En mars 2003, le président Bush et son état-major lance une vaste offensive contre le peuple irakienne. Pendant des mois, cette intervention avait été préparée. D’abord, à désarmer l’Irak. Ensuite, à convaincre les opinions publiques de la justesse de cette action militaire.

Mais, lorsqu’on n’y croit, à juste titre d’ailleurs, car, depuis lors, on sait à coup sûr que c’étaient des mensonges, comment interpréter cette agression ? Besoin de pétrole ? Mais pourquoi alors une guerre ?

Il nous semble que seule l’urgence peut justifier de passer du stade diplomatique à l’action militaire. Et l’urgence vient, entre autres, de la situation de crise économique qui touche les Etats-Unis. C’est ce qui est argumenté dans cet article.

Article paru dans Angles d’Attac, n°39, novembre 2002, p.7-8.


La crise économique pousse Bush à la guerre

Tout va mal. Ce n’est pas Attac qui l’affirme, mais les experts qui analysent les données et les perspectives économiques.

A plusieurs reprises, ils nous avaient promis une reprise. Aujourd’hui, ils doivent déchanter. Ce n’est pas en 2002 que l’activité reprendra son essor. Peut-être même pas en 2003. Ainsi, il en va de l’avis autorisé du Fonds monétaire international (FMI), qui publie tous les six mois, un état des lieux de l’économie mondiale (World Economic Outlook ou Perpective économique mondiale).

Que ceux qui affirmaient que le marché était le meilleur système économique sur le plan de l’efficacité se mordent les doigts. Car la crise est bien la preuve que ce fameux système fonctionne avec d’importants ratés. Sans compter les dégâts sociaux occasionnés. Que doivent en penser les salariés d’Enron, qui ont perdu leur emploi, mais également leur épargne pension dans la faillite de leur entreprise ? Que doivent ressentir le million de gens qui ont vu leur poste éliminé dans l’industrie manufacturière américaine en 2001 ? Et que doivent dire les 13.000 travailleurs de la Sabena laissés sur le carreau ?

Une récession qui n’en finit pas

En fait, les difficultés sont bien plus considérables que ce qui est avoué par les experts du FMI et relaté par les médias traditionnels. Depuis 1997, la crise sévit. Elle commence en Asie de l’Est. La Thaïlande est obligée, en juillet, de faire appel au FMI et de laisser flotter sa monnaie. A sa suite, l’Indonésie et la Corée du Sud entament la même démarche. Un an plus tard, les capitaux fuient la Russie, puis le Brésil. Les sociétés financières se disent que, si des pays dits « émergents » (parce qu’ils sortiraient du sous-développement) sont dans les problèmes en Asie, il va en être de même dans des nations aux caractéristiques similaires, mais moins florissantes. Aussi chacun pense qu’il faut retirer ses billes avant la catastrophe... et cela provoque effectivement cette catastrophe.

En octobre 1998, une première secousse se fait sentir à Wall Street, la Bourse de New York. Mais la Federal Reserve, la banque centrale américaine, sauve les meubles. Elle réduit ses taux directeurs pour rendre l’investissement plus attractif. Elle se porte au secours d’une institution financière, LTCM, qui aurait pu mettre en faillite bon nombre de banques qui lui avaient généreusement prêté.

Enfin, en janvier 1999, le FMI alloue une ligne de crédit de 41 milliards de dollars au Brésil, sans que son gouvernement n’ait demandé quoi que ce soit. Mais c’est le prix à payer pour éviter que la contagion financière ne gagne New York.

C’est le contraire donc qui se passe. Car les capitaux qui « fuient » doivent aller quelque part. Et ils vont en Amérique. Ils aliment le NASDAQ, la Bourse des valeurs technologiques. Celui-ci double de valeur entre septembre 1999 et mars 2000. Il est clair que l’argent mis dans les actions de Microsoft, d’Intel, de Dell Computer, de Yahoo !, d’Amazon.com et surtout dans la multitude de nouvelles sociétés actives dans les nouvelles technologies ne correspond plus aux prévisions même les plus optimistes des bénéfices de ces firmes.

C’est l’éclatement de la bulle au NASDAQ. En un an, d’avril 2000 à 2001, celui-ci perd 70% de sa valeur. 4.000 milliards de dollars partent ainsi en « fumée » par rapport au sommet de mars 2000.

Aujourd’hui, ce sont les Etats-Unis qui sont touchés. Et ce n’est pas prêt d’être terminé.

Au coeur de la tourmente

Certains expliquent la crise par l’exubérance des marchés financiers, leur développement irraisonné. Mais, en réalité, derrière cette croissance démesurée, il y a des phénomènes plus profonds, de telle sorte que l’on peut affirmer que c’est le coeur du système économique capitaliste qui est affecté.

En effet, l’offensive néolibérale des années 80 et 90 a eu pour objectif premier d’assurer une redistribution des richesses en faveur des plus favorisés. De cette façon, le pour-cent le plus riche a vu son patrimoine s’accroître de 22% du total des actifs aux Etats en 1976 à 38% en 1998 (1). Et ses revenus sont passés de 9% du total en 1975 à 19% en 1998 (2). En contrepartie, la majorité de la population a vu ses moyens stagner et même se réduire pour les plus pauvres.

Mais une économie où les plus riches voient leur situation s’améliorer de la sorte présente des problèmes insolubles à terme. Car ces personnes ne consomment qu’une partie de plus en plus faible de leur revenu. Ils consacrent de plus en plus de fonds pour investir ou pour spéculer. S’ils investissent, ils accroissent la production, alors que les capacités de consommation n’augmentent pas aussi vite. S’ils spéculent, ils alimentent les marchés financiers dans des proportions qui ne correspondent plus à l’ « économie réelle ».

Il en résulte une crise de surproduction, liée à un krach boursier. C’est ce qui est en train de se passer.

La déroute américaine

Les problèmes aux Etats-Unis sont particulièrement importants.

D’abord, l’endettement des ménages et des entreprises est extrêmement élevé. Son taux est le plus haut depuis la Seconde Guerre mondiale. De nombreuses familles utilisent leurs avoirs financiers pour demander des prêts, avec lesquels ils achètent des produits de consommation. Mais s’il y a une chute de la valeur des actions, ceci peut se révéler désastreux. De même, beaucoup de firmes ont contracté des emprunts pour racheter leurs propres titres. Mais si ceux-ci chutent, cela peut occasionner des pertes considérables. La possibilité d’avoir des faillites aussi bien chez les particuliers que chez les sociétés est très grande. D’autant qu’il est apparu que les dirigeants de ces compagnies trafiquent les comptes pour masquer les pertes déjà présentes.

Ensuite, la consommation des ménages est encore relativement stable, malgré la baisse boursière. Cela est dû au fait que les prix immobiliers sont restés élevés et que les tarifs pétroliers étaient bas. Mais cela peut changer. Si c’est le cas, cela peut entraîner une spirale : baisse de la consommation, pertes pour les sociétés, faillites, chute boursière qui occasionne une nouvelle diminution de la consommation, etc.

Puis, les marchés financiers restent surévalués. La possibilité d’un krach n’est pas du tout exclue. Ce qui entraînerait des banqueroutes aussi bien chez les entreprises que pour les gens.

Enfin, les comptes extérieurs américains sont particulièrement déstabilisants. Le déficit courant, c’est-à-dire celui qui correspond à la balance du commerce des marchandises, des services et des versements de revenus (3), s’élève à 450 milliards de dollars, en constante augmentation depuis dix ans. Pour que les comptes soient équilibrés, il faut qu’il y ait 450 milliards de dollars qui viennent aux Etats-Unis sous forme d’investissement, de placements boursiers, de prêts bancaires, etc. Si ce n’est pas le cas, les Etats-Unis devront vendre des devises et perdre des réserves ou dévaluer le dollar, ce qui ne manquera pas de déstabiliser le fragile équilibre monétaire mondial.

De la crise économique à la guerre

Ces problèmes graves fragilisent l’économie américaine et l’accaparement des richesses par le pour-cent le plus fortuné. A terme, ils menacent le projet hégémonique planétaire des dirigeants américains. C’est pourquoi la Maison Blanche opte pour une solution militaire agressive. C’est extrêmement logique.

En effet, une telle orientation permet de redonner confiance dans les possibilités économiques et politiques des Etats-Unis. Et la confiance engendre l’optimisme sur les marchés financiers, donc une nouvelle croissance de la Bourse.

En même temps, l’option militaire, grâce à l’accroissement du budget de la défense, offre davantage de contrats aux firmes impliquées dans l’armement. Mais ces entreprises sont nombreuses, en commençant par les entreprises aéronautiques comme Lockheed Martin ou Boeing, en passant par le secteur automobile qui fournit les camions et l’électronique qui équipe quasiment tous les instruments et en terminant par le textile qui habille les soldats.

Enfin, les victoires permettent de tirer davantage de fonds de l’étranger. Les 450 milliards de dollars de capitaux, nécessaires à l’équilibre des comptes extérieurs, peuvent affluer dans un pays qui gagne. Car une telle nation peut imposer que ses firmes soient le mieux traitées dans le tiers-monde et ailleurs. Ainsi, en Asie et dans le Pacifique, les firmes d’armement européennes se font éjecter par leurs rivales américaines par la nouvelle puissance américaine, même si le matériel offert est de meilleure qualité.

La crise économique, particulièrement sévère aux Etats-Unis, explique, en partie, l’arrogance des pensionnaires de la Maison Blanche. Elle justifie la volonté inébranlable de Bush et de ses conseillers de faire la guerre à l’Irak. Parce que ce qui menace les Etats-Unis, et surtout son pour-cent le plus riche, ce n’est pas Saddam Hussein, mais l’effondrement de Wall Street.

Henri Houben

(1) Edward Wolff, « Estimates of Household Wealth Inequality in the US 1962-1983 », Review of Income and Wealth, n°3, septembre 1987, et Edward Wolff, « Recent Trends in Wealth Ownership », Jerome Levy Economics Institute, Working Paper n°300, avril 2000. (2) Thomas Piketty et Emmanuel Saez, « Income Inequality in the United States, 1913-1998 », NBER Working Paper, n°8467, septembre 2001 : L’article de Piketty et Saez (3) La balance des paiements se compose essentiellement de trois postes : 1. la balance courante ; 2. la balance en capital ; 3. le solde, qui se traduit en accroissement ou en réduction des réserves de la banque centrale.


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