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Officiellement, la politique américaine est fondée sur l’existence d’Etats voyous (« rogue states » en anglais), qui menaceraient le monde. Ces Etats « terroristes » remplaceraient l’URSS comme cible principale de l’animosité américaine.
Mais d’où vient cette orientation ? D’où sort cette théorie ? Et est-elle véritablement pertinente ? Ne doit-on pas trouver que celui qui utilise ce terme d’Etat voyou n’est pas, en réalité, le premier d’entre eux ?
Article paru dans Angles d’Attac, n°39, novembre 2002, p.9-10.
Officiellement, la politique américaine est fondée sur l’existence d’Etats voyous (« rogue states » en anglais), qui menaceraient le monde. Ces Etats « terroristes » remplaceraient l’URSS comme cible principale de l’animosité américaine.
Mais d’où vient cette orientation ? D’où sort cette théorie ? Certains affirment que c’est Colin Powell qui a lancé cette idée, alors qu’il était commandant en chef des forces armées américaines au moment de la précédente guerre du Golfe. A partir de là, les autorités ont défini sept Etats comme étant voyous : la Corée du Nord, Cuba, l’Irak, l’Iran, la Libye, le Soudan et la Syrie. Notez bien que l’Afghanistan n’a jamais fait partie de cette liste.
Jusqu’à présent, tout est obscur dans cette politique. En témoigne la réaction de Condoleeza Rice, actuelle conseillère du président en matière de sécurité nationale, un des postes les plus importants de l’administration, lorsqu’un de ses amis lui pose la question du terme d’Etat voyou : « Je ne sais pas comment les appeler. Mais, peu importe comment on les appelle, ils sont mauvais. Ils sont mauvais pour le système international et ils sont mauvais pour la stabilité. Je préfère les nommer voyous, car je pense qu’ils sont en dehors du système » (1). Voilà la réponse de celle qui influence le plus la politique étrangère menée par George Bush.
La question a dû la tracasser néanmoins, car dans le récent document sur la stratégie nationale de sécurité, il y a - enfin ! - une définition de l’Etat voyou et un essai de caractérisation : « Ces Etats : - maltraitent leur propre population et dilapident les ressources nationales pour le plus grand profit de leurs dirigeants ; - ne manifestent aucun respect à l’égard des lois internationales, menacent leurs voisins et violent avec cynisme les traités qu’ils ont signés ; - sont déterminés à acquérir des armes de destruction massive, de même que d’autres technologies militaires de pointe, et à s’en servir pour intimider leurs voisins ou pour réaliser par la force leurs visées politiques d’agression : - commanditent le terrorisme à travers le monde ; - font bon marché des valeurs humaines fondamentales, haïssent les Etats-Unis et toutes les causes que ces derniers défendent » (2).
Il y a de quoi être étonné d’une telle formulation. Parce que le meilleur exemple d’un tel Etat tel que défini ci-dessus semble être quand même... les Etats-Unis eux-mêmes.
En effet, qui plus que la classe dirigeante américaine dilapide les richesses pour son plus grand profit, tout en privant sa population ? Depuis les années 70, le pour-cent le plus riche a vu sa part dans les revenus passer de 9 à 19% et celle dans le capital de 22 à 38%. Pendant ce temps, les 40% les plus pauvres ont connu une diminution de leurs salaires. Et ne parlons même pas d’avoirs, car ils n’en ont tout simplement pas.
En effet, qui plus que les Etats-Unis manifestent un dédain des lois internationales et n’hésitent aucune seconde à les violer ? Ainsi, en 1983, son gouvernement a été condamné par le tribunal international pour ses actions illégales et illicites au Nicaragua. Qu’à cela ne tienne ! Il a passé outre, en ne reconnaissant plus le tribunal. L’actuelle administration Bush a annulé le traité sur les missiles antibalistiques, qui avait cours depuis 1972. Elle ne signe pas le processus de Kyoto pour contenir les effets écologiques désastreux sur la planète. Elle décide de protéger son industrie sidérurgique, contre les règles qu’elle a elle-même édictées à l’Organisation mondiale du commerce. On pourrait continuer ainsi la liste. Et les Etats-Unis menacent très nettement les pays qui résistent à sa volonté. Ils ont mené la guerre en Afghanistan, qui n’est même pas voyou, et s’apprête à le faire en Irak.
En effet, qui plus que le gouvernement américain dispose d’armes de destruction massive ? Déjà, aujourd’hui, il dépense 37% de tous les fonds alloués à la défense. Et, s’il applique le programme de hausse du budget, il atteindra rapidement 50%. Autrement dit, il emploiera autant que tous les autres pays réunis. Dans l’armement même, aucun pays ne possède d’armes aussi sophistiquées, aussi destructrices que les Etats-Unis. Ils veulent, en outre, se doter d’un bouclier antimissile. Qui menace le monde ? Qui a les possibilités de faire exploser la planète ? Qui se nomme lui-même la seule superpuissance dans le monde, capable d’écraser militairement ses rivaux ? Saddam Hussein ?
En effet, qui plus que la Maison Blanche a soutenu le terrorisme partout sur la terre ? Qui a appuyé les « contras » au Nicaragua, en vue de déstabiliser le régime sandiniste ? Qui a financé des groupes assassins en Angola et au Mozambique ? Qui défend avec acharnement le gouvernement Sharon qui terrorise littéralement la population palestinienne ? Et qui a apporté ses moyens pour aider le groupe Al-Qaïda en 1979 en vue de renforcer la résistance afghane contre le gouvernement prosoviétique ? Qui, sinon les Etats-Unis ?
En vérité, la seule caractéristique d’un Etat voyou qui ne convient pas aux Etats-Unis est la haine des Etats-Unis et des causes qu’ils défendent. Et pour cause ! Mais c’est peut-être finalement la définition la plus exacte de ce qu’est un voyou pour Washington : ne pas aimer les Etats-Unis, les valeurs qu’ils représentent et vouloir construire une société indépendante des lois dictées par la Maison Blanche. Voilà effectivement un crime de lèse-majesté ! Un crime contre la toute-puissance américaine, mais on n’est plus en face de la plus grande démocratie du monde. On est devant un pouvoir autocratique, digne des rois sanguinaires du Moyen-Age !
Henri Houben
(1) « Condoleeza Rice on Governor George Bush’s Foreign Policy », Council on Foreign Relations, New York, 12 octobre 2000. (2) « The National Security Strategy of the United States », Washington, septembre 2002, dans sa traduction française tirée du Monde, p.20 (disponible sur le site du Monde diplomatique).