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Bear Stearns, Fannie Mae, Freddie Mac, Lehman Brothers, Merrill Lynch, AIG et puis qui encore ?

En route pour un nouveau krach

Pour la quatrième fois en cette année 2008, les marchés financiers sont à l’agonie. Les cours boursiers chutent, les banques font faillite, la panique s’installe...

Pour la quatrième fois, les autorités monétaires américaines s’engagent dans un vaste plan de sauvetage financier qui peut être résumé comme suit : les bénéfices ont été pour les actionnaires de ces établissements de crédit, les pertes seront pour l’Etat (et donc pour les contribuables).


En janvier, découvrant l’ampleur des dégâts causés par les crédits subprimes, les Bourses plongeaient une première fois. Et le gouvernement Bush a proposé de lancer un plan de 168 milliards de dollars pour sauver les ménages et les entreprises pris dans la tourmente hypothécaire. Est-ce que cela a suffi ?

En mars, la banque d’investissement Bear Stearns, la cinquième du secteur, se retrouve avec une ardoise qu’elle ne peut plus régler. C’est le trouble sur les marchés financiers. Le dollar se dévalorise très rapidement. La Federal Reserve (FED), banque centrale américaine, négocie pour une bouchée de pain la reprise de l’établissement en difficulté par JP MorganChase, moyennant une garantie sur dettes de 29 milliards de dollars. En même temps, elle crée un fonds de quelque 200 milliards pour reprendre les crédits pourris des différentes banques, toutes catégories confondues. Les éternels optimistes se sont dits : « ça y est, cette fois on a atteint le fond ; cela ne peut que repartir ».

Où est cette fin du tunnel dont on n’arrête pas de nous parler ?

Quelle déconvenue ! Fin juin, les marchés financiers redevenaient fébriles, se rendant compte que l’activité économique se ralentissait, que le pétrole coûtait de plus en plus cher, que cela créait des problèmes dans plusieurs branches énergétivores comme l’automobile ou le transport aérien. Et les entreprises qui assuraient le remboursement des prêts donnaient des signes d’essoufflement. En particulier, les deux entreprises privées, qui fonctionnent comme des institutions publiques pour garantir les créances hypothécaires, Fannie Mae et Freddie Mac. D’où la reprise de ces garanties par l’Etat début septembre. Plus de 5.000 milliards de dollars ! Ouf, devaient se dire certains !

Eh bien, non ! C’est reparti. C’est au tour de Lehman Brothers et de Merrill Lynch, les numéros 4 et 3 des banques d’investissement, d’être mises quasiment en faillite. La première se retrouve sous le chapitre 11. Ce qui correspond en quelque sorte à un concordat : elle peut continuer à exister ; elle peut temporairement arrêter de rembourser ses dettes ; mais elle doit se restructurer drastiquement. Barclays en profite d’ailleurs pour racheter quelques morceaux juteux.

Quant à Merrill Lynch, banque mythique, elle a été acquise pour 50 milliards de dollars par Bank of America, le second établissement de crédit commercial aux Etats-Unis. Dans le domaine des banques d’investissement, récemment encore une des fiertés d’outre-Atlantique, il ne reste plus que deux firmes indépendantes : Goldman Sachs (dont est issu Hank Paulson, l’actuel secrétaire au Trésor) et Morgan Stanley.

Et maintenant c’est AIG, la première compagnie d’assurances américaines, qui est aspirée dans l’oeil du cyclone. Elle doit trouver 75 à 80 milliards de dollars. Sans quoi elle devra mettre la clé sous le paillasson. Comme on pouvait s’y attendre la Federal Reserve a apporté 85 milliards nécessaires à la survie de l’établissement. Pour combien de temps ?

Et c’est loin d’être fini. Les monolines, ces firmes qui garantissent un certain nombre de crédits hypothécaires, vont devoir débourser pour se substituer aux emprunteurs défaillants. Le secteur de la construction est en récession. L’industrie automobile américaine est virtuellement en faillite. Les compagnies de transport aérien sont mal loties avec un carburant de plus en plus cher. Le secteur financier licencie à tour de bras. Sans compter les injections incessantes de liquidités des principales banques centrales, que ce soient celles des Etats-Unis, de l’Europe ou de la Grande-Bretagne. Ce qui montre que tous ceux qui essaient de nous convaincre que tout ne va pas si mal sont en train de nous embobiner.

Le pire n’est pas certain. C’est vrai à court terme. Il est possible que les nombreux apports d’argent colmatent les brèches. Mais, comme un digue cédant sous le poids d’un ouragan particulièrement violent, on observe plutôt l’inverse : les trous se multiplient et les efforts pour empêcher que l’ensemble ne s’effondre s’amenuisent.

D’une crise à l’autre

En fait, l’ampleur est très mal évaluée par les responsables économiques et politiques des deux côtés de l’Atlantique, parce que la crise est mal analysée. Celle-ci est vue sous des aspects particuliers : pétrolière, alimentaire, hypothécaire..., alors qu’elle est globale et systémique. Et elle est considérée comme ne portant que sur la finance, impliquant tout au plus banques et spéculation, avec un effet dommageable sur l’économie réelle. En fait, les principaux éléments constitutifs sont apparus à cause des déficiences dans la production et dans la répartition aux Etats-Unis et dans le reste du monde.

Il faut, en effet, s’interroger : comment un aussi petit secteur – une « niche » comme on l’appelait avant 2000 – comme celui des subprimes a-t-il pu créer une crise que beaucoup comparent aujourd’hui à celle des années 30 ? La spéculation peut engendrer des conséquences perverses, mais cette explication contient ses limites. En général, elle vient se greffer sur un phénomène déjà existant, « se contentant » de l’amplifier.

Ce qui a engendré le démarrage de l’euphorie hypothécaire à partir de 2001 a été, d’une part, le blocage de la croissance des actifs financiers, plombés par le krach de l’Internet, et, d’autre part, les facilités accordées par les autorités monétaires aux ménages pour emprunter.

Celles-ci ont été lancées, déjà à l’époque, pour éviter une profonde récession en 2001. Or, à ce moment, la consommation des particuliers – surtout les plus riches – tirait l’économie américaine et, de ce fait, mondiale. Elle était soutenue par l’emprunt et celui-ci par la valorisation des avoirs financiers (actions, obligations, etc.). Avec la chute boursière survient un grave problème : le patrimoine financier chute, mais les dettes subsistent ; dès lors, les Américains vont freiner leur consommation. La FED et le nouveau gouvernement vont donc favoriser l’endettement et l’achat de maisons pour compenser la dévalorisation boursière et ainsi poursuivre la frénésie de la consommation. D’où le développement des subprimes. D’où les dérives constatées aujourd’hui.

Combattre des excès ou un système

Il y a certes des excès. Et le graphique des bénéfices des principales sociétés financières présente une augmentation phénoménale des gains réalisés par ces établissements. Ce qui a alimenté les revenus et le patrimoine d’une minorité d’actionnaires, de dirigeants et de spécialistes financiers.

Mais ils n’expliquent pas l’essentiel de l’origine de la crise. Celle-ci est liée à une disproportion entre les possibilités de production de biens et de services, d’une part, et des capacités à consommer, d’autre part. C’est pour cela que, face à cette problématique, les autorités américaines ont développé à la fois le crédit et les marchés financiers. L’emprunt permet de consommer, alors qu’on n’a pas (encore) l’argent nécessaire pour le faire. Et les titres émis sur les marchés financiers donnent une garantie pour pouvoir recevoir un prêt. L’un alimente l’autre.

C’est la spéculation qui permet la croissance des actifs financiers. Jusqu’au jour où ceux qui détiennent les créances se disent qu’ils risquent de ne plus être remboursés et exigent les paiements avant qu’il ne soit trop tard pour eux. Et c’est la crise.

C’est ce qui est en train de se passer. On n’en voit pas la fin, contrairement aux arguments rassurants des responsables, parce qu’il n’y a plus d’alternatives aux garanties d’endettement : si les avoirs financiers et hypothécaires plongent en même temps, les ménages vont se retrouver dans les pires difficultés, devant rembourser des dettes sans avoir de revenus suffisants ni les moyens de réemprunter. Donc la consommation va inévitablement baisser et entraîner un ralentissement de la production, voire une chute.

On est au coeur du système capitaliste. L’écart entre production et consommation survient périodiquement parce que, d’un côté, le but des entreprises est d’accroître les bénéfices, donc les rémunérations des actionnaires et dirigeants, les salaires étant naturellement contraints parce que c’est fondamentalement un coût. Ce qui pèse sur le pouvoir de consommation de la population face à une volonté patronale d’augmenter la production.

De l’autre côté, il n’y a pas de planification. Autrement dit, même si on sait qu’on va droit dans le mur, chaque décision prise isolément par les firmes pousse dans cette direction. Même si dans de nombreux secteurs il y a surcapacité, montrant qu’il y a un surcroît d’offre par rapport à la demande solvable, cela n’empêche pas les firmes d’investir et de créer de nouvelles entreprises, parce que chacun pense que c’est le voisin qui en subira les conséquences et devra restructurer, licencier ou fermer.

La crise n’est pas inévitable. Elle est liée à un système appelé le capitalisme. Avec l’arrivée de la crise, c’est bien le moment de réfléchir aux alternatives qui ne se limitent pas à des petits aménagements de la société.

Henri Houben

En fichier attaché : le graphique de treize années de profits financiers et la présentation livrée à l’université d’été d’Attac Europe à Sarrebruck en août 2008, qui reste pleinement d’actualité.


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